Nous avions décerné l’an passé une Révérence au premier volume publié de cette Histoire de l’opéra français (Du Consulat aux débuts de la IIIe République), qui a entre-temps reçu le Grand Prix du Livre France Musique-Claude Samuel. Cette année en est paru le prequel, volume des origines et principial. On y retrouve l’approche à la fois macro- et microscopique d’une pluralité d’angles d’étude contribuant à une vision organique du sujet, aussi scientifique qu’incarnée et dont la fluidité de ton a par ailleurs été particulièrement soignée, donnant l’illusion d’une plume unique. L’organisation apparaît d’abord comme chronologique, avec un Prologue consacré aux prémices de l’avant-1669, une première partie à la fondation de l’Académie de musique et au règne de Louis XIV, une deuxième partie ancrée sous Louis XV et une troisième partie dévolue à Louis XVI et au tournant post-révolutionnaire. Mais les quatrième et cinquième parties offrent un pendant transversal, éclairant les conditions de production et de diffusion ainsi que l’imaginaire de l’opéra dans la culture et la société, envisageant notamment comme des « produits dérivés » avant l’heure les multiples adaptations d’une œuvre (souvent sous la forme d’extraits retranscrits) permettant sa dissémination à tout vent. La dimension institutionnelle du genre éclate dès ses débuts, avec la part hautement diplomatique des échanges musicaux franco-italiens – une question relayée par les multiples querelles qui jalonnent les siècles (Bouffons, gluckistes et piccinnistes), mais aussi par les enjeux urbanistique et territoriaux : que représenter, et dans quel théâtre (souvent encore à construire), en province ou dans les colonies antillaises ? quelle diffusion à l’étranger pour le répertoire français ? On savourera au passage le détail des âpres négociations consenties par Lully qui, quand il acceptait de concéder à autrui un peu de son « privilège », le faisait selon un périmètre de lieu et de durée minimal… À l’autre bout des quelque 150 ans couverts par le volume, le rôle de Marie-Antoinette est lui aussi révélateur des liens étroits établis entre pouvoir et création lyrique. Machineries et ballets (la place de la danse doit beaucoup au Roi-Soleil, également « roi danseur ») sont évidemment scrutés, de même que les caractéristiques de langage (textuel et musical), de style et d’esthétique, ou les multiples genres marginaux (pastorale, ode, etc., regroupés sous le vocable de « petit opéra ») participant d’un portrait complexe de l’« opéra français » de ce temps, certes dominé par la tragédie en musique et l’opéra-comique mais qui ne s’y résume pas. Posant la question de « l’avenir du passé », la coda d’Hervé Lacombe met enfin d’un geste quasi proustien sa gigantesque Histoire en abyme : gageons qu’on reviendra souvent à ses « petits pans de mur » ici ou là détachés dans la lumière, comme à son ample et immersif dessein d’ensemble.