Écartées de l’histoire, échappées à la narration nationale, les dauphines de France sont les grandes oubliées des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles. Le temps des Bourbons n’a guère retenu les noms de celles qui, par leur naissance et leur mariage, étaient destinées à devenir reines de France, mais ne le sont jamais devenues. Adulées de leur vivant, elles se sont enfoncées dans l’ombre, faute d’avoir accédé à un trône qui leur était promis, et ont accompagné la fin d’un monde qui s’est englouti avec elles. Première des dauphines de France, Marie-Anne de Bavière (1660-1690), dite la Grande Dauphine, fut un temps l’ornement de la cour de Louis XIV. Le roi a réservé à sa belle-fille les plus grands honneurs et a voulu la traiter en « reine de substitution » après le décès précoce de son épouse, Marie-Thérèse. Mais le destin de cette Allemande à la cour de Versailles à son apogée fut bien triste. Trop sensible, trop « humaine », elle offre le tableau d’une princesse hors de son temps à qui on aurait distribué un rôle pour lequel elle n’était pas faite et qui finit par en mourir. La deuxième dauphine de France nous mène à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles. Arrivée tout enfant, Marie-Adélaïde de Savoie (1685-1712), titrée duchesse de Bourgogne par son mariage avec l’aîné des petits-fils de Louis XIV, enchante la cour par la vivacité de son esprit et son aisance à gagner les cœurs, avant de sombrer à son tour dans le tragique. Elle meurt en effet de la petite vérole (en fait, la rougeole) en 1712, six jours avant son mari, laissant un fils, le futur Louis XV. Vingt années, c’est ce que vécut la troisième dauphine, Marie-Thérèse Raphaëlle d’Espagne (1726-1746), qui épouse le fils aîné de Louis XV. Seconde à la cour de France après la reine Marie Leszczyńska, c’est une petite âme fragile et craintive qui décède après un an et demi de delphinat. Elle n’aura fait que passer, et elle aussi aura beaucoup souffert. Marie-Josèphe de Saxe (1731-1767), seconde épouse de Louis de France, la remplace. Et sa vie, à son tour, est toute d’amertume et de désillusion. La « Triste Pepa », ainsi qu’elle se surnomme, si elle ne devient pas reine, donne néanmoins naissance à trois futurs rois : Louis XVI, Louis XVIII et Charles X. Enfin, une dernière fois, le destin s’acharne sur Marie-Thérèse de France (1778-1851), dite « Madame Royale », future duchesse d’Angoulême. Cette « princesse du malheur » voit la fin de Versailles, l’éclatement de Révolution, avant d’être emprisonnée au Temple et de passer la plus grande partie de sa vie en exil. Cinq vies brisées, cinq portraits de femmes qui racontent autrement la grande et petite histoire.