BOULONNAIS À  LA FÊTE ET AU TRAVAIL

RAYMONDE MENUGE WAUCRENIER

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1983. Combien de fois Emile ne s’est-il assis au pied du calvaire en haut de la falaise pour guetter le retour des autres ? Mais aujourd’hui, c’est tout autre chose : c’est  » son « bateau qui rentre au port. La pêche à  la morue, en Islande ou à  Terre Neuve, c’est dur quand on n’a que 14 ans : l’ocEan glacial, sinistre, vEritable  » cimetière des marins « , o๠cette annEe encore, malgrE les intempEries, plus de 200 bateaux français Etaient au rendez-vous. Emile est fier de lui, et pourtant sa première paye n’est pas bien grosse : juste de quoi payer, chez Corbec, les bottes, le cirE et le suroà®t qui en feront un vrai matelot. Il ne sait pas encore que Marie, sa mère, a trouvE du travail à   » l’fabrique à  plumes « , chez Blanzy. Elle aurait pu exercer un mEtier plus pEnible : sautrière, verrotière,  » toujours à  l’grèle du temps « ou, comme les ramendeuses, les mains tachEes de goudron, remplacer les mailles rompues des filets jusque tard dans la nuit, à  la lumière douteuse des lampes à  pEtrole. Il rentre chez lui en empruntant les pittoresques rues de Boulogne toutes imprEgnEes d’odeurs de poisson sEchE, d’huile de lin, de goudron et de cordages mouillEs. Là -bas, la grosse cloche cuivrEe sonne pour annoncer le petit train Le Portel – Bonningues qui traverse la ville tractant les grandes caisses de bois bombEes recouvertes de carton bitumE, wagons o๠se côtoient les fermiers qui se rendent au marchE de Boulogne et les familles venues profiter des bains de mer. Les rues sont sillonnEes de carrioles, de calèches et de fiacres que le tramway, mà» par la force Electrique, n’a pas fait disparaà®tre. Tout là -haut, l’Eglise St-Pierre dEcoupe sa silhouette massive dans le ciel si bleu aujourd’hui. C’est là  que dimanche, Emile accompagnera son père arborant ses mEdailles de sauveteur sur son costume noir un peu verdi, et sa mère, digne dans ses habits de Boulonnaise. A la pensEe de revoir ses parents il serre dans sa main la petite vierge protectrice que Marie a mise dans sa poche, après le pèlerinage à  JEsus FlagellE, le soir qui a prEcEdE son dEpart. Maintenant, il court pour monter les dernières marches : la maison est là , accueillante. Tout y est pareil : la statue de la vierge jalousement gardEe sous son globe de verre, le diplôme de sauveteur de son père emprisonnE dans son cadre de bois, les photos jaunies avec les portraits de ses oncles disparus, le crucifix o๠fane le buis bEni des derniers rameaux… et surtout la silhouette de sa mère, à  la porte de la chambre qui le regarde ses yeux brillants de joie :  » Emile, c’est Emile ! « . Elle est bien petite sa maison mais, cet EtE, il faudra encore se serrer davantage en logeant dans le sous-sol pour laisser la place aux estivants. Ils arriveront par  » les trains de plaisir « de Paris, Reims, Roubaix ou encore de la campagne. Ils iront animer les cafEs, les boutiques, se promèneront le long des parterres fleuris et autour du kiosque à  musique. Au casino, le  » Palais Neptune « , on jouera  » Mam’zelle Nitouche « et bien d’autres spectacles. Les salles de jeux seront pleines du 15 juin au 15 octobre. Les bourgeois porteront leurs gants gris perle pour aller au thEâtre ou aux courses ; Emile, lui, ira peut-être Ecouter des concerts ou regarder les bals populaires au jardin des Tintelleries ; il est encore trop jeune pour frEquenter comme tous les matelots  » l’cave à  Thuillier « , presque  » un caf’conc « o๠l’on dEguste en même temps moules et frites…© Micberth

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2000