REMARQUES SUR LA NOBLESSE
I – Antoine Maugard
Antoine Maugard naquit le 17 août 1739 à Château-Voué dans le diocèse de Metz. Très tôt, il s’intéressa au droit et à la jurisprudence et montra un grand souci de la précision ainsi qu’une grande perspicacité dans la recherche et l’interprétation des documents anciens.
Après avoir achevé son droit à Paris, il fut nommé commissaire du Roi pour la recherche et la vérification des anciens documents de droit et d’histoire, activité qui correspondait à sa formation et ses goûts. Ce fut sa principale activité jusqu’en 1786.
Devenu en raison de sa réputation généalogiste de l’Ordre de Saint-Hubert de Bar et de plusieurs chapitres nobles de son pays d’origine, il se consacra à la généalogie dont il devint l’un des spécialistes.
A son retour à Paris en 1787, il publia ses » Remarques sur la noblesse dédiées aux assemblées provinciales » qui furent rééditées en 1788 avec un apparat critique et des études remarquables. C’est ce livre très documenté qui a retenu notre attention et a été reproduit.
Parallèlement, dans sa « lettre à Monsieur Chérin, sur son abrégé chronologique d’édits concernant la noblesse » il dévoilait sur la place publique son différend et sa rivalité avec Louis-Nicolas Hyacinthe Chérin, le généalogiste des ordres du Roi.
Malgré ces controverses, Antoine Maugard prévoyait de publier un « code de la noblesse », travail qu’il n’eut pas le temps d’achever, d’autant que la suppression des privilèges du 4 août 1789, puis de la noblesse le 19 juin 1790, entérinée par la constitution du 3 septembre 1791, ainsi que les bouleversements politiques ne lui permettaient plus d’en assurer la diffusion.
Il publia alors un journal qui n’eut qu’une brève existence, puis il s’intéressa à l’enseignement de la jeunesse. Le Mercure de France du 9 novembre 1793 reproduisit le discours sur l’instruction publique qu’il prononça à la barre de la Convention et qui lui permit, avec son activité pédagogique, d’être compté en 1795 au nombre des gens de lettres ayant droit aux « récompenses nationales ».
Parallèlement, Antoine Maugard étudiait les langues française et latine, tant du point de vue de la grammaire que de la littérature. Parurent ainsi un « discours sur l’utilité de la langue latine, contenant l’exposé de la méthode la plus simple et la plus prompte d’enseigner cette langue avec la française », des « remarques sur la grammaire latine de Lhomond », un « cours de langue française et latine » en 1808 et un « traité de la prosodie française de l’abbé d’Olivet » en 1812… En outre, zélé pédagogue, il forma gratuitement plusieurs élèves et souhaita ouvrir une école latine, ce qu’il n’obtint de l’université qu’ à la veille de sa mort, le 22 novembre 1817.
II – Antoine Maugard et Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin
Les relations entre Antoine Maugard et le généalogiste des Ordres du Roi commencèrent sous des auspices favorables. Remarqué par Bernard Chérin, père de Louis-Nicolas-Hyacinthe, Antoine Maugard travailla en tant que commis sous ses ordres, mais bientôt une brouille vint mettre fin à cette collaboration. L’origine en était, selon Chérin « un soulèvement de commis » ; il s’agissait, selon Antoine Maugard, d’intrigues liées à la succession de Bernard Chérin qui avait négligé de « prendre des précautions pour assurer la survivance de sa charge de généalogiste des ordres du Roi au profit de son fils » comme il le lui avait conseillé deux ans auparavant.
En effet, une dizaine de candidats pouvaient revendiquer cette charge et Louis-Nicolas-Hyacinthe n’avait que 23 ans lorsque son père s’éteignit le 21 mai 1785 ; or 25 ans était l’âge exigé. Grâce à l’entremise de l’archevêque de Bourges, chancelier des Ordres du Roi, et membre de la puissante famille des Phélypeaux, il fut, malgré l’avis du Baron de Breteuil, ministre de la maison du Roi, décidé que Berthier, le commis préféré de Bernard Chérin, assurerait l’intérim jusqu’à ce qu’en 1787 Louis-Nicolas-Hyacinthe ait atteint les 25 ans fatidiques.
Il n’est pas douteux que cet arrangement favorable à Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin ait suscité des critiques et des envieux, d’autant que le futur généalogiste des Ordres du Roi, s’il était intelligent, était également obstiné.
Doit-on ajouter qu’Antoine Maugard l’était autant et pouvait s’appuyer sur une expérience reconnue, puisqu’il avait été nommé généalogiste de l’Ordre de Saint-Hubert de Bar et de divers chapitres nobles, ce qui explique sans doute l’agressivité qui culmina lorsque Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin lui fit retirer cette charge pour l’attribuer au Cabinet des Ordres du Roi, c’est à dire en fait à lui, lors même que, par son attitude, il s’était aliéné Berthier qui prit sa retraite dès avril 1787.
Mais, au del à du heurt de ces deux personnalités, se profile le problème de la vérification des titres de la noblesse et de l’importance de la charge de généalogiste des Ordres du Roi.
III – Les généalogistes des Ordres du Roi
La charge de généalogiste des Ordres du Roi fut créée par Henri IV pour vérifier, à l’origine, la qualité des futurs chevaliers des Ordres du Saint-Esprit et de Saint-Michel. Son ressort s’étendit aux preuves de noblesse pour l’Ordre du Mont-Carmel et de Saint-Lazare, à celle du chapitre Saint Louis de Metz, puis à celles des Chevau-Légers de la garde du Roi, des sous-lieutenances, des cadets gentilshommes des colonies, des lieutenants des maréchaux de France, enfin à celle des honneurs de la cour. La charge, en partie concurrente, de Juge d’armes de France concernait, quant à elle, outre la vérification des armoiries, les preuves pour les pages, pour les écoles royales militaires et pour l’admission des demoiselles à Saint-Cyr et à l’Enfant-Jésus. Ces attributions, à l’exception des preuves pour les pages, étaient d’un moindre rapport financier pour les généalogistes.
Formé par les bénédictins de Saint-Maur,élève puis successeur admiré et compétent de Clairambault et de Beaujon, Bernard Chérin avait porté haut la renommée de sa charge et avait été anobli en 1774 par Louis XVI. Mais cette réussite cristallisait le mécontentement et l’envie. En outre, la perte de certains documents, la lenteur des dossiers, les décisions plus conciliantes du conseil des dépêches, compétent pour les confirmations ou reconnaissance de noblesse, enfin les idées de l’époque firent que l’on accepta avec de plus en plus de réticences qu’une seule personne décidât sans appel.
Se fit jour alors l’idée d’une commission ou d’un conseil, tribunal de la noblesse ou autre, pour assurer ce rôle.
Plusieurs projets de cette nature virent le jour, préconisant en outre de fusionner ou d’associer le cabinet du généalogiste des Ordres du Roi avec celui de juge d’armes.
Dans ses « Remarques sur la noblesse » Antoine Maugard accorde son suffrage à ces réformes, prônant un conseil inspiré d’institutions étrangères telles que les chambres héraldiques d’Angleterre et des Pays-Bas autrichiens, les chambres ou directoires de la noblesse du Saint-Empire, de la Suède ou de la Russie ; mais il voulait aussi restaurer l’autorité morale et supérieure du Roi d’armes qui devait être aux mains d’un gentilhomme…
La révolution qui entraîna la suppression du second Ordre en 1791 fit avorter tous ces projets.
IV – Les remarques sur la noblesse d’Antoine Maugard
Comme beaucoup de ses contemporains, Antoine Maugard pensait que le second ordre était en butte à deux problèmes cruciaux : l’usurpation de qualité et l’appauvrissement de ses membres.
a) L’usurpation de qualité
L’importance de l’usurpation de noblesse, au XVIIIe siècle, apparaît bien exagérées, quelque peu obsessive : Antoine Maugard partage l’opinion de ses contemporains comme de son rival L.N.H. Chérin. Celui-ciécrivait en 1788 dans son abrégé chronologique qu’il fallait « réprimer la licence effrénée des usurpations dont le progrès est non moins funeste à la noblesse, que préjudiciable au reste de la nation […] Combien n’est-il pas déplorable de voir que les effets en deviennent de jour en jour aussi pernicieux. Ils altèrent la pureté de la noblesse et en dégradent la possession aux yeux de ceux pour qui ses honneurs et ses prérogatives auraient été un juste motif d’émulation […] Le mal s’est accru avec une telle rapidité qu’il est de nos jours presque universel ». Il ajoutait « on voit aujourd’hui généralement dans tous les actes publics passés devant notaires, dans les actes de célébration de mariage, de baptême et de sépulture et jusque dans les tribunaux même, usurper avec audace et sans aucune espèce de retenue, des qualités nobles lorsqu’on n’est véritablement que roturier par la naissance… »
Antoine Maugard, quant à lui, va même jusqu’à avancer le nombre de 20.000 usurpateurs
Il semble qu’il s’agit l à plus d’une psychose que d’une réalité. En effet, au XVIIIe siècle, le perfectionnement de la monarchie administrative, les réformations de la noblesse entreprises par Louis XIV, l’action des intendants et des commissaires du Roi, mais aussi des tribunaux (Parlement, Chambres des comptes, Chambres des aides) y avaient mis les bornes et traquaient avec sévérité les abus. Localement, les contribuables, lors de la perception des impôts, cherchaient à restreindre le nombre des privilégiés et des exemptions fiscales pour diminuer la quote-part de chacun.
b) L’agrégation à la noblesse
L’usurpation, très réduite au XVIIIe siècle par rapport aux siècles antérieurs, pouvait paraître le coté négatif de l’agrégation à la noblesse. Cette agrégation avaitété officialisée par Saint Louis sous la dénomination de « tierce foi ». Ce n’était que la reconnaissance d’un usage assez général :étaient reconnus nobles les descendants d’un roturier acquéreur d’un fief, s’ils le conservaient pendant trois générations (acquéreur compris), prêtaient hommage et partageaient noblement ledit fief, c’est à dire d’une manière avantageuse pour l’aîné.
L’influence de la tierce foi se dessine aussi dans les déclarations de Louis XIV, en date du 8 décembre 1699, et de Louis XV, en date du 7 octobre 1717, qui admettaient comme preuve de noblesse, le port du qualificatif d’écuyer ou de chevalier pendant trois générations successives ou une possession centenaire sans contestation ou procès.
Au milieu du XVIIIe siècle, la création de ce qui fut dénommé la noblesse militaire par l’édit royal du 25 novembre 1750, spécifiant que trois générations successives d’officiers décorés de la croix de chevalier de Saint Louis conféraient la noblesse, est redevable d’un semblable état d’esprit.
c) L’anoblissement
L’opinion semble en fait, au XVIIIe, avoir associé dans une même réprobation usurpation et vente ou achat de lettres de noblesse, et amalgamer abusivement privilégiés et nobles. Curieusement, le premier abus présumé, celui de vendre des lettres de noblesse, paraît très restreint durant ce siècle ; seules à son début, les guerres coûteuses de la fin du règne de Louis XIV obligèrent la monarchie à utiliser cet expédient, encore que beaucoup de ces lettres eussent été annulées par la suite. Quant à l’achat de ces lettres de noblesse, il ne concerne tout au plus qu’un tiers des 3.000 charges (celles de conseillers- secrétaires du Roi en particulier… la savonnette à vilains pour les censeurs). Encore fallait-il, pour les plus favorables, 20 ans d’exercice ou… la mort en charge ! Et pour les autres, l’exercice successif de deux membres d’une même famille (père, puis fils) pour obtenir cette qualité. Antoine Maugard paraît d’ailleurs englober dans une semblable désapprobation » l’achat » et l’usurpation de noblesse comme entraînant une surcharge pécuniaire pour le peuple. Il conseille de diminuer » le nombre des anoblis par charges pour augmenter celui des anoblis pour services rendus « , souhaitant qu’il n’y ait par année » qu’environ 10 nobles par charges et 40 anoblis pour services rendus. Il en résulterait un très grand bien et il n’y aurait que 50 nouveaux nobles au lieu de 150 » … Ce faisant, il remettait en cause les hautes charges de judicature, les cours souveraines… et toutes les charges anoblissantes.
d) La noblesse et les privilèges
Plus crédible était la critique à l’égard de la profusion des privilégiés qui, à des titres divers, jouissaient d’exemptions fiscales.
Les privilégiés étaient aussi bien le soldat gradé non noble qui, en activité ou retiré après un nombre d’années variable selon son grade, échappait alors à la taille, que les détenteurs d’office de judicature ou autres, les habitants de certaines villes… et les commensaux, c’est à dire tout ceux qui étaient rattachés à la maison du Roi ; Cette dernière catégorie étant très extensible.étaient ainsi concernés les huissiers, fourriers, ciriers, valet chauffe-cire, porte-coffres, officiers suppôts servant dans la grande chancellerie… mais aussi éventuellement leurs veuves ; Tous étaient exempts de la taille, impôt roturier s’il en fut, mais aussi des aides et des gabelles.
Ainsi, lorsque L.N.H. Chérin écrit que sur la » multitude innombrable de personnes qui composent l’ordre des privilégiés, à peine un vingtième peut-il prétendre véritablement à la noblesse immémoriale et d’ancienne race « , il est probable qu’il était bien en dessous de la vérité ; D’ailleurs, n’indique-t-il pas qu’en 1666 il n’avait recensé en Bretagne que 2084 familles nobles, en Languedoc 1627, en Touraine, Anjou et Maine 693, en Champagne 514 ; Ces chiffres sont plus que modestes.
e) Le problème de l’armorial de la noblesse
L’assimilation entre privilégiés et nobles était d’autant plus tentante qu’ à la différence d’autres pays il n’existait pas en France de tables généalogiques, et le catalogue général de la noblesse du royaume, prévu par les arrêts du Conseil en date du 15 mars 1669, du 2 juin 1670, des 10 avril et 12 juin 1683 et du 11 mai 1728… ne fut jamais réalisé par les généalogistes des Ordres du Roi. Quant aux juges d’armes de France, les d’Hozier, ils n’avaient pas été à même d’achever l’armorial de la noblesse prévu et décidé à la même époque. Ainsi, généalogistes des Ordres du Roi et juges d’armes de France prêtaient à la critique ; Et l’on comprend que certains aient voulu créer un organisme nouveau pour réaliser ce recensement à l’exemple d’Antoine Maugard. Ce dernier proposait en outre de mener une recherche de la noblesse française suivant l’exemple de réformation engagée par Louis XIV.
f) Complexité des preuves de noblesse en France
Il est probable que cette enquête aurait été longue, car pour éviter toute erreur, les conseils et généalogistes français, depuis Louis XIV, avaient posé avec rigueur les méthodes pour établir une filiation et les preuves de noblesse. Les principes en étaient qu’il fallait produire des titres originaux : aucune copie collationnée n’était admise et un acte original notarial ne pouvait être qu’une première grosse délivrée sur les minutes par celui qui les avait reçues. Seuls étaient valables les procès-verbaux de noblesse et autres reconnaissances ou décharges donnant la noblesse, ainsi que les expéditions délivrées par les greffiers et autres personnes publiques à ce préposées. La filiation pour les XVIe, XVIIe et XVIIe siècles devait être établie par trois actes ; deux seulement étaient nécessaires pour les siècles antérieurs, avec des qualifications que seule la noblesse pouvait porter ; Et nulle part, sauf dans les colonies, n’étaient acceptés les actes de notoriété. Encore devaient-ils être établis par les conseils supérieurs, et non par les gentilshommes du ressort comme cela se pratiquait en Irlande, écosse, Angleterre, Pologne et dans l’Empire. La complexité et la rigueur des preuves » à la française » avaient probablement été la cause de l’échec de tout » inventaire de la noblesse « .
Cette rigueur et l’absence de recensement général du second ordre avaient deux conséquences : la croyance à une noblesse pléthorique et à des usurpations innombrables, et à la difficulté pour une noblesse souvent ancienne, mais pauvre, de faire ses preuves, alors que la monarchie et les esprits éclairés cherchaient à l’aider en créant des institutions éducatives . Bien plus, au XVIIIe, malgré les anoblissements, le nombre des familles du second ordre semble avoir décru. Selon les études les plus récentes, on dénombrait 135.000 personnes pour 27.000 foyers, chiffres déjà avancés par Taine, alors que Chérin dénombrait 17.000 familles, ce qui correspondait à 340.000 individus ; d’Hozier, quant à lui, estimait ce chiffre à » 146.000 maisons nobles (foyers) comprenant 436.000 têtes « . Le pourcentage raisonnable par rapport à l’ensemble de la population se situerait entre 1 et 1,3%. Doit-on ajouter que grands étaient les clivages à l’intérieur de l’Ordre ; déj à à la fin du XVIIe siècle, selon les registres de la première levée de capitation, ses représentants sont situés dans 22 classes sur 24 et taxés de 6 à 1500 livres… un rapport de 1 à 250 !
g) La noblesse et les institutions d’aide
Pour bénéficier de ces institutions, tels le collège des 4 nations fondé par Mazarin…, Saint-Cyr par Louis XIV et madame de Maintenon…, les écoles royales militaires par Louis XV…, il fallait faire ses preuves. Ainsi, les demoiselles capables d’entrer à Saint-Cyr devaient fournir, à partir de 1736, un extrait baptistaire légalisé, une attestation justifiant le peu de fortune de leur famille signée par l’évêque du lieu, la première grosse du contrat de mariage de leurs parents (ou une expédition délivrée par le notaire et certifiée par le juge du lieu), les justifications de 140 ans de noblesse sans anoblissement ni dérogeance. Après le 1er juin 1763, il fallut en outre, l’attestation de service de dix années au moins dans les armées royales de leur père ou de leur aïeul.
La multiplicité des pièces impliquait démarches et recherches, et par l à des dépenses élevées que la maison royale de Saint-Cyr ne remboursait à la famille que lorsque la demoiselle était admise. Les preuves pour la maison de l’Enfant-Jésus étaient les mêmes que pour les 250 jeunes filles de Saint-Cyr, mais au lieu de 150 années de noblesse il en fallait 200 !
Les jeunes gentilshommes, quant à eux, étaient concernés par les écoles royales militaires. Pour être l’un des 500 heureux bénéficiaires, il fallait prouver quatre degrés de noblesse paternelle (le candidat inclus),énoncés sur titres originaux pour chacun des degrés de la filiation. Cependant, pour ces écoles, le Roi prenait à sa charge les frais de preuve de noblesse car selon la déclaration de Louis XV du 22 janvier 1752 : « Après l’expérience que notre prédécesseur et nous-même avons faite de ce que peuvent sur la noblesse française les seuls principes de l’honneur, que n’en devrions-nous pas attendre si tous ceux qui la composent y joignaient les lumières acquises par une heureuse éducation » ; Pour se faire, sans augmenter les charges du reste de la population, » nous avons résolu de fonder une école royale militaire et d’y faire élever sous nos yeux 500 jeunes gentilshommes nés sans biens, dans le choix desquels nous préférerons ceux qui, en perdant leur père à la guerre, sont devenus les enfants de l’état « . Mais, comme l’écrit Maugard, » le gentilhomme pauvre garde ses enfants chez lui parce qu’il n’a pas les moyens de les placer : où trouvera-t-il de quoi fournir à la dépense qu’il sera obligé de faire pour rassembler les titres dont il aura besoin, si on le force à prouver sa noblesse, pour continuer à jouir de ses privilèges ? « . Il s’agissait notamment de privilèges fiscaux comme l’exemption de la taille, alors que les traitants et collecteurs étaient sans pitié pour les gentilshommes besogneux, surtout s’ils étaient démunis de relations et de documents. Aussi Antoine Maugard préconisait-il une caisse d’entraide de la noblesse pour compléter l’action menée par les institutions récemment créées, comme celle de Mirecourt due aux soins de Madame Adélaïde. Mais la condition de gentilhomme était devenue d’autant plus difficile que les impôts établis depuis le début du XVIIIe, tels les vingtièmes et la capitation, ne les épargnaient pas, contrairement à ce que l’opinion voulait faire croire, n’envisageant en cela que la taille.
De surcroît, d’autres établissements leur étaient inaccessibles faute de moyens et, pour les hobereaux démunis, les places de pages de la Grande ou de la Petite écurie étaient à plus forte raison hors de portée ; Outre remonter les preuves à 1550 en fournissant des titres en original, il fallait assurer à leur progéniture une pension évaluée à 830 livres en 1733. Quant aux pages de la Chambre avec le versement obligatoire de 200 livres pour le certificat de noblesse et la généalogie dressée par les d’Hozier, leur entretien et leur pension très coûteuse faisaient que leur placeétaient réservées à la noblesse ancienne très aisée.
Il en était de même pour certains ordres de chevalerie comme l’ordre de Saint-Lazare, tant par le nombre de degrés de noblesse paternelle à prouver – il passa d’ailleurs de 4 à 9 du début à la fin du XVIIIe siècle – que pour les droits à payer. Ainsiéchouera le projet de créer des commanderies pour pensionner les gentilshommes blessés ou en fin de carrière militaire. Quant à l’ordre joint de Notre-Dame-du-Mont-Carmel, quatre degrés seulement restèrent nécessaires, mais seuls quelques élèves de l’école royale militaire purent, suivant leur mérite personnel, l’obtenir avec une petite pension… En fait, ces deux ordres unis étaient devenus des décorations.
h) Hiérarchie dans le second ordre
Antoine Maugard consacre une très intéressante part de son ouvrage aux divers types de noblesse et différencie les membres du second ordre suivant divers critères. Dans sa préface, il préconise un classement selon l’ancienneté de la noblesse de chaque famille, ou plus exactement selon le nombre de générations, car,écrit-il, « quand pour être admis dans la première classe, il ne faudra que prouver un certain nombre de degrés sans remonter à une époque fixée, il n’y aura pas d’entraves, personne n’en sera exclu ; le nouvel anobli saura qu’ à la dixième, douzième, fut-ce vingtième génération, ses descendants y seront reçus ; cette espérance, cette certitude sera d’avance sa félicité ». Cette dernière assertion est cependant contraire à la plupart des preuves exigées en France, à l’exception des ordres militaires et religieux. Celles-ci imposaient de remonter à une date fixe (Honneurs de la cour, pages, écoles royales militaires…). D’autre part, Antoine Maugard souhaite que l’on crée un clivage entre les principales maisons nobles de province et la noblesse ordinaire, entre la noblesse d’ancienne extraction et les nouveaux nobles. Cette dernière idée correspond à la thèse et à la jurisprudence nobiliaire qui admettaient aussi en certaines régions qu’en cas de dérogeance la qualité de gentilhomme d’extraction était, à la différence de l’anobli, imprescriptible. Mais Maugard pense qu’il faudrait aussi introduire la notion de type de noblesse. Il semble l à avoir été inspiré par le règlement de l’impératrice de Russie en date du 29 avril 1785, divisant en 6 catégories la noblesse suivant son ancienneté, son origine – administration ou armée – ou pays étrangers.
i) Titres de noblesse
Quant aux problèmes et à la valeur des titres dont l’importance est limitée en France par rapport à d’autres contrées comme l’Empire, l’Espagne ou le Royaume-Uni, Antoine Maugard s’y intéresse au point de placer au même rang l’usurpation de titres par des gentilshommes et celle de la noblesse par les roturiers. Il suggère : » en recherchant les usurpateurs de noblesse, il conviendrait de rechercher aussi les usurpateurs de titres de chevalier, comte, marquis, etc… Il n’est pas plus permis à un noble d’usurper un titre qu’à un roturier d’usurper la noblesse » ; ce qui est contraire à la pratique en France. Car s’il est certain qu’il exista des règlements dans ce sens, l’application en fut toujours négligée à l’égard des gentilshommes, sauf pour le titre de duc.
Plus intéressante est son estimation du nombre de titres de marquis, comte, baron à 8.000 dont 2.000 seulement le sont légalement, 4.000 dignes de l’être, 2.000 faux ; il en est de même de sa proposition de régulariser ces titres » dignes de l’être » moyennant finances : 1.500 livres pour les titres de marquis et comte, 1.000 livres pour ceux de vicomte et de baron.
Son rival L.N.H. Chérin partage curieusement ce sentiment quand il énonce » l’usurpation des titres de noblesse par les roturiers et des titres de haute noblesse par celle qui est inférieure » est » un danger pour le Second Ordre » avec » la manie de quitter la province « .
j) Assemblées provinciales et fiscalité
Ces » Remarques sur la noblesse adressées aux assemblées provinciales » portent la marque de cette seconde moitié du XVIIIe siècle où ressurgissent les particularismes et où s’affirment les élites locales alors que naît une opinion publique versatile, donc portée à tous les engouements.
Dès Louis XV et les projets de Laverdy, la monarchie française y fut sensible. Ainsi, de 1764 à 1789, peut-on noter la continuité entre les initiatives successives, les plans de Turgot et de Dupont de Nemours, jusqu’au réformes de Calonne.
Pour faire appliquer celles-ci, Louis XVI, par un édit en date du 22 juin 1787, créa des assemblées décentralisées à trois niveaux : le plus élevé était celui de la province, puis à des degrés inférieurs celui des élections et enfin celui des paroisses ou des villes. Le projet de Calonne, dévoilé la même année à l’assemblée des notables, prévoyait des représentants des trois ordres et tenait compte, pour les électeurs, du cens c’est à dire des impôts payés. Les assemblées provinciales étaient, pour une part fixe, nommées par le Roi et pour l’autre, élues. Pendant leur intersession, un bureau et un procureur-syndic devaient siéger ; leurs attributions portaient sur tous les anciens impôts, notamment sur leur répartition. En outre, ces assemblées avaient le pouvoir d’adresser des doléances au souverain.
Cette vaste réforme de 1787 devait s’étendre à tous le royaume et permettre d’assurer des interlocuteurs au gouvernement, de donner des pouvoirs accrus aux élites locales… et à plus long terme, de réformer le système fiscal du pays et d’assainir le trésor obéré par la dette et les emprunts consécutifs à la guerre d’Amérique. Le volet financier, dirons-nous, n’était absent d’aucune de ces réformes ; il affleure d’ailleurs sans cesse sous la plume des réformateurs et des écrivains, comme sous celle d’Antoine Maugard dans ce livre.
Les assemblées créées en 1787, faute de temps et en raison des problèmes budgétaires de la Monarchie, ne purent s’affirmer ; Leur échec, comme celui de l’assemblée des notables réunie la même année par Louis XVI, entraîna la réunion des États généraux, la fermentation des esprits, les intrigues, la Révolution.
La confusion alors était grande ; ainsi un contemporain, membre du second ordre mais élu par le tiers aux États généraux, prononça-t-il en substance ces paroles prosaïques mais profondes : » les hommes, c’est comme les poissons, ils pourrissent par la tête… » : il s’agissait de Mirabeau qui ne fut pas pour rien dans le déclenchement fatal et tragique des passions.
V – Le second ordre à la fin de l’ancien régime selon le généalogiste Antoine Maugard
ce livre rend compte à la fois de l’expérience d’un savant généalogiste, mais aussi d’un esprit sensible aux controverses et aux engouements de son époque à la veille de la révolution de 1789. Aussi, complète-t-il également notre information par des analyses très documentées sur la dignité de chevalier et la valeur du titre d’écuyer. Il nous dévoile les projets de réforme du second ordre dans l’optique du siècle des lumières foisonnant d’utopies. Doit-on ajouter qu’Antoine Maugard semble sur ce point avoir été plus prudent et réservé, moins dupe de son époque que son rival Chérin. Celui-ci ne déclarait-il pas dans le préambule de son abrégé chronologique : » Dans l’ordre de la nature, les hommes naissent égaux et libres. L’esclavage, né de la force, ne put former d’abord une inégalité réelle dans l’espèce humaine, par la raison que ce pouvoir n’étant point alors légitimé par une convention sociale, était nécessairement nul et périssable par les changements divers que devait éprouver la cause qui l’avait fait naître. Ce ne fut que lorsque, dans le progrès des choses, le droit positif succéda à la violence, que l’établissement des lois et de la propriété fixa pour toujours l’inégalité des conditions » mais ajoutait-il, » La noblesse est une distinction d’État nécessaire à la condition du royaume. Elle en est la force, elle en est le soutien, elle est comme l’essence de la monarchie française. La maxime fondamentale d’une monarchie, dit Montesquieu, est celle-ci : point de monarque, point de noblesse, point de noblesse, point de monarque, mais on a un despote. »
L’année 1788 allait s’achever, Antoine Maugard allait devenir pédagogue, Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin, général, et le despotisme serait autre que monarchique…