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ARMORIAL DE L’ANF

Qu’est-ce que la noblesse aujourd’hui ?

En France, nous pouvons en donner la définition suivante : « Un ensemble de personnes, organisées en familles, se transmettant en ligne agnatique (par les mâles), par le sang et en légitime mariage, une qualité reconnue ou attribuée par un pouvoir souverain ». Cet ensemble aux limites précises, représenterait 0,2% de la population du pays.

La noblesse ne constitue plus comme sous l’ancien régime, une classe sociale. Elle n’est pas non plus compte tenu de la grande diversité de ses origines, un groupe ethnique. Sous l’ancien régime, être noble signifiait appartenir à une classe sociale et politique, bénéficiant de certains avantages et privilèges, et soumises à certaines obligations, spécialement militaires. Depuis la Révolution, la définition n’est plus valable. La noblesse rétablie par Napoléon et reconnue par les régimes successifs n’a plus de privilèges ; être noble signifie aussi bien appartenir à la descendance de nobles d’ancien régime que de nobles crées depuis 1806. C’est une distinction purement honorifique, comme le pourrait être une décoration héréditaire.
Les seuls avantages qui lui soient attachées viennent de l’état des mœurs ou des préjugés. Cependant, on peut penser que les personnes nobles, se distinguent de leurs contemporains par certaines attitudes face à la vie :
• La force de leur sentiment d’appartenance à une collectivité. Se réclamer de la noblesse, qualité liée à la naissance, c’est admettre que nous sommes un chainon d’une famille et accepter les obligations qui en découlent ; le noble doit agir conformément à un code de conduite qu’il n’a pas élaboré seul ; Il reconnait que son comportement est dicté par son appartenance à un groupe social.
• Leur culte de la tradition. L’attachement aux souvenirs de leurs ancêtres, conduit les nobles à respecter la tradition ; ils pensent l’avenir comme la continuation d’un passé qu’ils respectent et dont ils s’inspirent.
• Leur conscience de vouloir être différents et exigeants pour mieux servir.
La noblesse constitue donc un groupe social qui a su conserver sa spécificité à travers un attachement aux vertus et principes qui commandent la vie familiale et la vie en société.

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DICTIONNAIRE DE L’ORDRE DE SAINT HUBERT

INTRODUCTION

Le présent dictionnaire biographique, généalogique et héraldique retrace la vie des 499 chevaliers de Saint-Hubert dont les noms s’égrènent sur plus de quatre siècles. Aussi reconstitue-t-il un vaste réseau d’alliances et de parentèle, trait d’union qui relie, les unes aux autres, une bonne partie des 296 familles de l’Ordre. Quatre périodes ponctuent la vie de l’institution et forment autant de chapitres dont la continuité s’interrompt durant la parenthèse des XVe-XVIe siècles ou les troubles de la Révolution et de l’Empire (1789-1816) :-1416-1422 : la Compagnie du Lévrier blanc (1416) devenue Ordre de Saint-Hubert (1422).-1597-1789 : l’Ordre noble de Saint-Hubert du Barrois.-1816-1824 : L’Ordre noble de Saint-Hubert de Lorraine et du Barrois (avant son interdiction en France par Louis XVIII).-1824-1849 : l’Ordre chapitral de Saint-Hubert de Lorraine, du Barrois et des Ardennes (après son interdiction en France par Louis XVIII).La répartition des chevaliers et de leurs familles sur ces quatre époques modifie très légèrement les chiffres donnés (pp. 183 et 186 notamment) dans l’histoire de L’Ordre parue en 1999 :

Chevaliers  nouveaux chevaliers familles Familles nouvelles
Chapitre I 47 47 36 36
Chapitre II 259 259 100 100
Chapitre III 128 115 113 98
Chapitre IV 158 78 136 62
TOTAL 499 499 385 296

L’ordonnancement des notices se conforme le plus souvent aux règles AFNOR en ce qui a trait aux particules : à savoir que seules sont considérées comme particules, et rejetées à l’arrière, les propositions ”de” ou ”d’”. Les autres, c’est-à-dire ”Le”, ”La”, ”Les”, n’étant pas des particules, restent en amont du patronyme et figurent en capitales. Une exception a toutefois été faite pour les formes ”des” et ”du” même si, pas plus que les précédentes, elles ne peuvent être considérées comme des particules : car le plus souvent, le lecteur s’attend à trouver ces noms à l’initiale du patronyme (des Armoises à A).Au plan onomastique, les graphies des patronymes respectent les formes anciennes et archaïques telles qu’elles ont été trouvées dans les documents. Le nom normalisé moderne apparaît le plus souvent entre parenthèses, voire entre crochets.Construites toujours sur le même modèle (présentation de la famille du chevalier, de son principe d’anoblissement, des personnalités qui l’ont illustré dans l’histoire ; description héraldique des armes ; énumération des alliances avec d’autres familles distinguées dans l’Ordre ; biographie du chevalier; sources : bibliographie et iconographie les plus exhaustives possibles (que l’auteur a été loin d’épuiser dans sa recherche).Les notices sont de longueur inégale : à cet égard, la longueur n’a aucun rapport avec l’importance de la famille. Les informations relatives aux chevaliers varient notablement de l’un à l’autre ; surtout, les familles méconnues des généalogies imprimées ou des nobiliaires ont été volontairement privilégiées alors que des familles illustres et abondamment étudiées ont fait l’objet de développements plus succincts.

Chapitre I : 1416-1422

Le dictionnaire des 47 gentilshommes (issus de 36 familles différentes, voire 34 si l’on considère que les d’Apremont, Breux et Landres appartiennent à trois branches de la maison de Briey) de la Compagnie du Lévrier blanc, devenue Ordre de Saint-Hubert en 1422, s’appuie sur les informations fournies par Pierre Boyé dans sa notice de 1903, complétées récemment par diverses recherches sur les familles de chevaliers et, surtout, par l’exégèse minutieuse du parchemin de 1416 due à Thierry Paquin. Ce dernier a poursuivi son analyse et fourni un dépouillement exhaustif des sources : héraldiques relatives à ces chevaliers fondateurs et à leurs familles.Seul manque à l’appel le cardinal-duc de Bar, marquis de Pont et seigneur de Cassel, qui appose son sceau au bas de l’acte de 1416 (en déficit sur le Mss. 247 (le sceau et sa double queue sont manquants au coin inférieur gauche du document) mais on sait (DR 267) qu’il écartèle de Bar et de France depuis la mort de son frère à Azincourt en 1415 et que ses armes sont timbrées d’un chapeau de cardinal muni de ses glands). Le parti a en effet été pris de ne pas retenir les princes régnants comme membre de l’Ordre dans les différents chapitres du présent dictionnaire.

Chapitre II : 1597-1789

Au coeur de l’histoire de l’Ordre, ce second dictionnaire biographique, généalogique et héraldique a pour objet de retracer la vie de 259 chevaliers de Saint-Hubert (appartenant à 100 familles différentes) sur près de deux siècles mais aussi de reconstituer un réseau d’alliances et de parentèle qui lie la plupart de ces 100 familles entre elles.D’où le rappel du principe de noblesse des chevaliers répertoriés et des alliances -directes ou indirectes- avec les autres familles représentées (alliances dans l’Ordre). Pour les armes, Thierry Paquin a vérifié, modernisé et complété les descriptions héraldiques afin d’uniformiser le blasonnement.Un grand nombre de familles originaires du Barrois sont bien connues des généalogistes et autres érudits locaux. Tout naturellement, une majorité des biographies de ce chapitre s’inspire du manuscrit de C.P. de Longeaux sur La Chambre des comptes du duché de Bar, remarquablement annoté et commenté par le baron de Dumast en 1907. Et pourtant, même pour ces familles bien connues, certains représentants oubliés et un grand nombre d’actes d’état civil ont pu être retrouvés.D’autres familles, largement -voire totalement- ignorées des généalogies imprimées, qu’elles soient lorraines (de Boisguérin de Bernécourt, Chanot de Battel, de Cosson, de Crolbois de Seewald, des Fossés de La Huchaudière, Gaynot de Combles, de Gérard, Gévigny de Pointe, Jacquemot, de Médaille, Mouginot de Noncourt, (de) Poirson notamment) ou étrangères à la région (de Brunet de Neuilly, de Migot, de Myon, Sabatier de Cabre ou de Saincton) ont fait l’objet de recherches approfondies.Au total, ce dictionnaire offre un condensé des faits et gestes d’un réseau familial et professionnel d’une certaine élite barroise sous l’Ancien Régime. Il reproduit la liste officielle des noms cités dans le «Tableau» chronologique retrouvé dans les archives de l’Ordre.Trois «chevaliers» présumés (ou simplement «officiers» ?), issus de familles inconnues, ne figurent cependant dans ce Tableau que pour mémoire et sans numérotation :-Jean Guelleux          } tous deux signataires des statuts rénovés-Nicolas Deschamps } de 1597 mais non repris par ailleurs.-Pierre Rogier, chanoine de Saint-Maxe de Bar, aumônier de l’Ordre (le sixième depuis 1597), reçu en 1710 au décès de Gabriel de Leschicault, non repris dans le «Tableau» officiel, est uniquement recensé dans la liste des «chevaliers-officiers» de l’Ordre.

Chapitre III : 1816-1824

Autant les deux précédents chapitres étaient homogènes, autant ce troisième «dictionnaire» -et le quatrième qui lui succèdera- est le fruit de données aussi disparates qu’hétérogènes. Ce catalogue des membres de l’Ordre durant la Restauration de la Monarchie, repose en effet sur quatre sources essentielles :-Le fonds de La Morre, déposé à la Bibliothèque municipale de Bar-le-Duc, donne un «Tableau » des premières années de l’Ordre restauré (1816-mai 1819) ;-Une «Notice sur l’Ordre chapitral de Saint-Hubert de Lorraine et du Barrois» (1844), publiée sans nom d’auteur, réunit les «membres de l’Ordre qui existaient en France lorsque le Roi Louis XVIII l’a reconnu». A quelques exceptions près, cette «Notice» correspond au «Tableau de l’aumônier» (dont la liste est reproduite au chapitre IV), pourtant nettement postérieur ;-certains noms donnés comme reçus avant 1824 dans le «Tableau de Bonneval» (1849) (liste des derniers chevaliers de l’Ordre interdit retrouvée au presbytère de Saint-Hubert, Belgique, et publiée au chapitre IV) ont été, à ce titre, réintégrés dans le présent dictionnaire ;-Des références d’origines diverses viennent compléter cet amalgame en quête d’unité : papiers de Marne (archives départementales de Bar-le-Duc), archives nationales, archives du musée de la Légion d’honneur.A n’en pas douter, ces sources sont incomplètes, douteuses et révélatrices d’un grand désordre dans les archives de la Compagnie au XIXe siècle. Mais faute d’un «Tableau» complet et exhaustif des chevaliers de l’Ordre sous la Restauration, ces listes ont été agglomérées pour n’en faire qu’une.Par ailleurs, ce dictionnaire donne les noms de quatre chevaliers, reçus de 1805 à 1807, durant l’émigration de l’Ordre à Francfort, reflet partiel du Tableau des chevaliers sous la Révolution et l’Empire. Pour le compléter, il faudrait rajouter au moins les noms de deux représentants prestigieux, morts avant la définitive restauration de la Compagnie :-Alexis de Crolbois, baron de Seewald (1741-1811) :Reçu en 1783 (voir chapitre II, n° 72), administrateur général plénipotentiaire -équivalent de Grand-maître- de l’Ordre en émigration (1790-1811).-Daniel-Antoine-Bernard de Marne († 1815) :Reçu en 1750 (voir chapitre II, n° 190), trésorier et secrétaire de l’Ordre (1782-1789). Avec les comtes de La Morre et Garden de Saint Ange, il contribue à la restauration de l’Ordre et à la conservation de ses archives et meurt quelques mois avant la reconnaissance de l’Ordre par Louis XVIII (mars 1816).Pour être complet, un autre nom ne fera jamais partie de l’Ordre rénové après 1816 : Charles-Sébastien de Longeaux (1732-1817), reçu en 1749 (voir chapitre II, n° 168), supprimé du Tableau du 3 novembre 1788, ne sera pas réintégré dans l’ordre, bien que son décès n’intervienne que le 11 mars 1817. Ce cas unique milite en faveur de la thèse de la radiation dès l’Ancien Régime.Les 128 noms (115 nouveaux chevaliers appartenant à 113 familles, dont 98 familles nouvelles) qui suivent sont donc membres (réels pour la plupart, présumés pour quelques autres) de l’Ordre de Saint-Hubert jusqu’à sa «disparition» toute théorique en 1824 : aux 13 chevaliers cités dans le dictionnaire du chapitre II sont les numéros 8, 10, Il, 20, 38, 58, 59, 72, 79, 82, 83, 101 et 123, s’ajoutent 11 nouveaux chevaliers, souvent novices sous l’Ancien Régime, qui appartiennent à des familles déjà connues : numéros 15, 26, 60, 61, 62, 63, 75, 78, 84, 85 et 96.D’une présentation à l’identique des chapitres précédents, ce dictionnaire donne une notice générale par famille et par chevalier (principe d’anoblissement, description des armes, harmonisée ici encore par Thierry Paquin). Toutefois, le réseau d’alliances n’est pas développé tant il est vrai que l’endogamie de ce nouveau «Tableau» se limite la plupart du temps à des cas flagrants -et pas toujours isolés- de népotisme. La variété des origines géographiques de chevaliers témoigne en effet d’un déficit de parentèle. Nombre de ces familles étant illustres, les recherches ont été volontairement réduites à l’essentiel. Les incertitudes inhérentes à un groupe social méconnu militent pour le maintien de ces deux derniers chapitres à l’état d’ébauche. De nombreux ouvrages généalogiques sur le XIXe siècle (Courcelles, Saint-Allais, Révérend…), plus ou moins fiables, ont été consultés. Cependant, l’absence de références aux sources et à la bibliographie -hormis certaines familles moins connues qui le justifiaient-, confirme le caractère fragmentaire et ouvert d’un dictionnaire dont un nombre non négligeable de membres n’ont pu être identifiés.L’orthographe approximative de certains noms de famille dans le manuscrit original l’explique autant que l’ignorance de telle ou telle biographie ou généalogie. Lorsqu’un chevalier a pu être cerné avec précision, son nom est automatiquement rectifié. Faute de certitude, le nom est maintenu dans son orthographe initiale et l’auteur se limite à des hypothèses de filiation.

Chapitre IV : 1824-1852

Ce dernier «Dictionnaire» réunit deux listes retrouvées dans les archives du curé et doyen de Saint-Hubert en Belgique ; deux volumes reliés, actuellement conservés au presbytère dudit lieu :-«Tableau de l’aumônier» ou «Grand livre des réceptions, deuxième série». Non daté, il est vraisemblablement postérieur à 1847 ;-«Tableau de Bonneval» ou «Matricules de l’Ordre noble de Saint-Hubert de Lorraine et du Barrois», série étrangère, quatrième de l’Ordre». Il est daté du mois de juillet 1849 et signé.Le fait de retrouver de telles archives dans les papiers des aumôniers de Saint-Hubert -ce qui n’est absolument pas prévu par les statuts de 1817-, témoigne du caractère postérieur à l’interdiction de 1824 de l’ensemble de ces listes. Mais les conditions politiques de 1849 ne sont pas les mêmes que celles de 1824 : à la suite de l’abolition de la Monarchie, sous une seconde République présidée par un Bonaparte, la fine fleur de la noblesse française se plaît à se retrouver en terre étrangère pour y vivre une nouvelle émigration et partager ensemble, quelques heures ou quelques jours durant, leurs convictions religieuses et leur passion pour la chasse.Pour ce qui est de la présentation, ce dernier dictionnaire respecte les mêmes principes développés au chapitre précédent. En contradiction avec les statuts, l’hétérogénéité des fonctions ne permet pas toutefois d’en assurer la nécessaire cohérence : le «Tableau de Bonneval» mêle en effet chevaliers, «chevaliers-officiers», «chevaliers honoraires», chevaliers étrangers, officiers… Dans cette confusion indescriptible, ultime témoignage de la dégénérescence d’un Ordre en proie à une désorganisation croissante -un Ordre en désordre-, l’auteur n’a pas cru bon de séparer le bon grain de l’ivraie, les chevaliers authentiques des non chevaliers.

 Aussi, le lecteur gardera-t-il toujours à l’esprit que ce chapitre ne rassemble qu’une liste de 158 «membres» de l’Ordre chapitral de Saint-Hubert de Lorraine, du Barrois et des Ardennes :-dont 80 anciens (2 chevaliers déjà cités au chapitre II, numéros 40 et 78, et au chapitre III, numéros 1, 2, 4, 5, 12, 17, 18, 23, 24, 25, 26, 28, 29, 35, 37, 38, 42, 45, 46, 49, 51, 54, 56, 59, 64, 65, 66, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 90, 92, 93, 96, 98, 100, 104, 105, 106, 107, 108, 110, 111, 112, 116, 117, 118, 119, 120, 126, 127, 128, 129, 130, 132, 134, 135, 136, 141, 145, 146, 148, 153, 154, 155, 156, 157) ;-et 78 nouveaux (appartenant à 136 familles différentes, dont 62 nouvelles).

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FRANCOIS GUILLEMOT DE LA VILLEBIOT, AIDE DE CAMP DU TSAR

François Guillemot de La Villebiot, aide de camp du Tsar

Pierre 1er de Russie, dit Pierre Le Grand, souhaita, en 1717, se rendre en France alors qu’il se trouvait à Amsterdam. Le Régent, Philippe d’Orléans, averti de ce vœu par son ambassadeur à La Haye, l’accueillera avec tous les égards dus à son rang, mais sans trop de cérémonial, pour respecter les volontés de ce dernier, devenu toutefois un monarque important. Celui-ci avait vaincu les Suédois et acquis une place maritime sur la Baltique, ce qui manquait à la Russie avec qui il fallait désormais compter. Pierre I proposa tout de go de s’allier à la France en lieu et place de la Suède au motif que celle-ci était « quasi anéantie » et de lui faire bénéficier de ses relations privilégiées avec la Prusse. De cette visite naîtra un traité tripartite signé à Amsterdam le 19 août 1717, au bas duquel figureront pour la première fois les signatures de la France et de la Russie.

Ce Tsar de grande taille, très brun, à l’allure un peu farouche, mélancolique et distrait, accessible et souvent familier (après avoir entendu, sans le comprendre, le jeune Louis XV, âgé de 7 ans, venu le voir pour lui réciter un compliment le lendemain de son arrivée à Versailles, le 11 mai 1717, il l’embrassa sur les deux joues, au grand étonnement des courtisans), avait l’esprit vif et curieux, avec de l’aisance « et une grandeur dans les manières », selon Monsieur de Liboy, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi. Pierre Le Grand suscita l’intérêt et la sympathie des Parisiens qui l’acclamèrent Place Royale (aujourd’hui Place des Vosges).  D’une grande simplicité, peu soucieux de son apparence selon les témoignages des personnages qui l’on rencontré, il était peu sensible aux « choses de pur goût et d’agrément… Mais tout ce qui avait un objet d’utilité, trait à la marine, au commerce, aux arts, aux arts nécessaires, excitait sa curiosité, fixait son attention, et faisait admirer la sagacité d’un esprit étendu, juste, et aussi prompt à s’instruire qu’avide de savoir » (extrait des Mémoires secrets de Duclos).

Ce grand monarque singulier, fondateur de Saint-Pétersbourg avait déjà voyagé en Europe, quasi incognito, mais lorsqu’il avait exprimé son désir de se rendre à Versailles, il y avait de cela vingt ans, Louis XIV n’avait pas voulu s’embarrasser de la visite d’un roi d’un pays inconnu et réputé barbare, ce qui l’avait mortifié. Mais, s’il n’avait pu rencontrer le Roi Soleil, il ne manqua pas de rencontrer des hommes réputés pour l’excellence de leur art ou leurs qualités personnelles, à qui il proposa de le suivre en Russie pour moderniser et occidentaliser le pays.

Parmi les volontaires, se trouva un jeune marin breton, François Guillemot de La Villebiot, qui allait devenir son aide de camp, puis le gouverneur du port militaire de Kronstadt et chef d’escadre dans la flotte russe de la Baltique. Il acheva sa carrière en 1743 comme vice-amiral de la marine impériale. Ses deux fils, Daniel et Alexandre, dont les descendants se sont définitivement fixés en Russie et en Estonie, firent eux aussi des carrières brillantes dans les armées russes. Né à Guérande en 1680, celui-ci descendait d’une famille bretonne et noble d’ancienne extraction, maintenue au conseil en 1672, citée dans les réformations et montres de 1441 à 1535, au titre des nobles de Plouha, paroisse qui connaissait la plus forte densité nobiliaire de l’évêché de Saint-Brieuc au XVIIe et XVIIIe siècle. Il décéda en 1760 à Tartu, la plus ancienne ville des pays baltes, située aujourd’hui en Estonie du Sud, à 187 kilomètres de Tallin. Les Guillemot de La Villebiot, toujours représentés, avec au moins quatre porteurs du nom de sexe masculin, blasonnent « d’azur au lion couronné d’or accompagné de trois molettes d’éperon du même, 2 et 1 ».

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MAINTENUES ET ARMORIAL DE LA NOBLESSE DU PERIGORD

Présentation des recherches de noblesse en Périgord

 

A – Les recherches de noblesse en Périgord sous Henry IV et Louis XIII
L’idée de vérifier les titres de la noblesse du Périgord date au moins du règne du roi Henry IV. La Bibliothèque Nationale conserve en effet, sous la côte 23926, des « lettres patentes … pour la faction des hommages, nouveaux papiers et recherche des usurpateurs de noblesse en la généralité de Guyenne. Le tout daté de Paris, 30 octobre 1607.
Mais il y eut peut-être une recherche antérieure en Périgord, effectuée à la fin des années 1590, et contemporaine de la vérification des titres de noblesse réalisée en 1598 en Limousin par MM. de Marillat et Benoist en application de l’ordonnance du Roi de 1583 !
A nouveau en 1635-40, Louis XII ordonna une nouvelle recherche, dont il ne subsiste que quelques éléments. En voici l’intitulé exact : « Etat des taxes faites pendant l’année 1640 par Me Léonard de Senand, conseiller du Roi trésorier de France Général des Finances de Guyenne commissaire député par sa majesté pour l’exécution de l’Edit du mois de novembre 1640. La dite commission datée du 6 décembre du dit. Autant sur les prétendus nobles exempts privilégiés, corps de paroisses que lieux abonnés suivant ladite commission payables lesdites taxes es mains du receveur des tailles de la dite Election en exercice Me Jean Vincenot, et à la décharge des paroisses, de leur résidence, savoir la moitié au 16 mai du dit an et l’autre moitié au premier jour de juillet et octobre en suivant ».
Cette liste de 1640 qui nous est parvenue, ne concerne que la recherche effectuée dans l’Election de Périgueux, dans le ressort de 151 paroisses. Elle nous livre seulement un état des personnes qui furent condamnées, et non celui des nobles de cette Election ou de ceux qui furent maintenus dans leur noblesse sur appel à la Cour des Aides de Guyenne, au lendemain des dites condamnations.
Ainsi sous Louis XIII et peut-être déjà sous Henri IV, dans les années 1590, les listes de nobles conservées révèlent, de la part de la monarchie, un souci fiscal plus immédiat : limiter le nombre de sujets exemptés des impôts pesant sur les non nobles ; permettre un meilleur rendement et une meilleure répartition de ceux-ci sur les paroisses. Il n’est pas inutile de rappeler ici qu’en Périgord, pays de taille personnelle, dans lequel l’impôt était perçu en fonction de l’état juridique des personnes, la taille était concrètement un impôt de répartition. Ainsi le montant de l’impôt de la taille déterminé pour chaque paroisse était réparti entre les différents « taillables » de la paroisse. Les nobles (de même que les privilégiés) qui étaient le plus souvent les plus riches habitants des paroisses, n’étaient pas imposés. Il était donc important de vérifier régulièrement le bien fondé des exemptions de chaque noble ou privilégié.
Ce sont les mêmes soucis financiers, parfois contradictoires comme nous le verrons, qui prévalurent lors des grandes recherches de noblesse des années 1666-1718.

B – La grande recherche de noblesse de 1666
La déclaration du roi Louis XIV du 8 février 1661, sur la « recherche et punition des usurpateurs du titre de noblesse », créa pour la noblesse du royaume une situation très nouvelle : Elle remettait en cause les acquis et imposait un nouveau type de preuves de noblesse.
« Après avoir, par assistance divine, dit cette déclaration, donné la paix à nos sujets tout à fait glorieuse, nous ne pouvons avoir aucun objet plus juste que de faire jouir les peuples qui sont soumis à notre obéissance des avantages et des fruits de cette paix ; et pour cet effet d’empêcher les désordres qui se sont commis et qui se commettent par la licence des temps contre et au préjudice de nos ordonnances, pour l’observation desquelles nous désirons apporter tous les moyens possibles… »
Il s’agit là d’une introduction rappelant le traité des Pyrénées du 7 novembre 1659 mettant fin à la guerre de « Trente ans » que se livraient la France et l’Espagne depuis 1635.
Dans l’adresse au Roi de son « Procez verbal de la recherche de la noblesse de Champagne », Caumartin, commissaire de cette recherche, donc partie prenante de cette politique, tint à souligner quant à lui, que cette poursuite des usurpateurs s’inscrivait bien dans une logique de grandeur et de justice royale.« …Ainsi Vostre Majesté a mis une partie de ses soins à purifier la Noblesse de tout ce qui s’y étoit meslé d’étranger et de faux….Il étoit aisé de prévoir, SIRE, qu’après avoir rétably l’ordre dans les Finances, remis les Loix et la Justice dans leur force et dans leur pureté ; éteint la fureur des combats particuliers ; réprimé les violences dans les Provinces ; rendu la Paix à l’Eglise, et réüny les Théologiens dans la défense commune de la vérité ; réduit les grandes Armées à garder les Loix d’une exacte discipline ; recompensé les gens de Lettres, et relevé la gloire de tous les beaux Arts, V. M. prendroit un soin particulier de la Noblesse, et regleroit cette principale partie de l’Etat, après avoir réformé toutes les autres… »
Plus prosaïquement, Marcel Marion, dans son dictionnaire des Institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles voit dans cette recherche de noblesse l’œuvre personnelle du ministre Colbert :« Colbert poursuivait les faux nobles avec une sorte de rage, écrit-il, et ce lui fut une grande satisfaction que d’avoir fait remettre à la taille environ 40 000 gentilshommes.»
En fait, comme nous allons le voir, ces recherches poursuivirent des finalités paradoxales…………

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DICTIONNAIRE DES FAMILLES DE FRANCHE-COMTÉ

AVANT-PROPOS

La mode est actuellement aux dictionnaires biographiques nationaux tels que le Who’s Who in France : il fait connaître les personnalités contemporaines de la Métropole et de l’Union française dans « quelque domaine que ce soit de la pensée ou de l’action, politique, industrie, arts et lettres, sciences, finances, affaires, cultes, sports, etc. ». Mais lorsqu’il s’agit de l’Ancien Régime, on ne saurait oublier que la Société reposait moins sur les individus que sur les familles dont les ancêtres avaient illustré le nom : celles-ci réputées nobles vivaient sur le domaine ancestral dont les générations successives s’efforçaient de préserver l’intégrité et habitaient le château ou le manoir avec tour du bourg proche.

Le chef de famille garde la tradition des croyances, des idées et des mœurs, patrimoine qu’il lèguera à son tour aux siens. Il agit au mieux pour la conservation des biens hérités des ancêtres. Il maintient son autorité non seulement sur sa femme et sur ses enfants, mais sur ses frères cadets à l’origine de branches nouvelles. L’aîné de ses fils est généralement son héritier universel, les autres enfants, garçons et filles, n’étant que légataires. Succédant à son père dans ses droits comme dans ses devoirs, c’est lui qui établit ses sœurs non mariées et ses frères sans emploi.

Et cela m’a incité à rechercher et à cataloguer les familles comtoises éteintes dans le sang, donc entrées définitivement dans l’Histoire, le dernier mot sur elles étant dit.

Les enfants nombreux, soit une dizaine en moyenne, dépassent parfois la vingtaine : tels les vingt-six de Jean François Besancenot (1673-1749), dont dix seulement devinrent adultes. C’est que la mortalité infantile est encore grande à cette époque dans la Province où, durant presque tout le seizième siècle, la peste avait régné à l’état endémique. De 1619 à 1636, sur quatorze enfants, l’épidémie en prit sept à Jean Boyvin et Jeanne Sebastienne Camus. La famine, du fait des guerres, revenait aussi fréquemment. Quant à la conservation du patrimoine, elle est facilitée par les nombreuses vocations religieuses.

C’est ainsi qu’au début du dix-huitième siècle chez les de Bouzies, il y aura, sur les huit enfants de Léon Claude quatre moines et une abbesse. Tandis que l’aîné Charles Léon Joseph est seul vicomte de Rouvroy et seigneur de Saint-Symphorien, Ferry François Alexandre son cadet sera en 1739 seul seigneur de Champvans-les-Gray. Chez les de Champagne, sur les neuf enfants de Charles, capitaine d’Ornans en 1660, deux garçons et trois filles furent d’Eglise.

Henri de Champagne, son fils aîné, marié en 1700, aura encore sur dix enfants quatre fils et deux filles en religion. François Xavier de Champagne, fils d’Henri, resté seul baron d’Igny, en obtiendra en 1756, par lettres de Louis XV datées de Compiègne, l’érection en marquisat sous le nom de Champagne.

Comme documentation inédite, j’ai pu consulter le nobiliaire manuscrit en douze volumes écrits en 1757-1759 par Jean Jacques Clerc de Neuret, prieur de Bellevaux et conservés actuellement par le général baron René de Cointet, qui me les a aimablement communiqués.

Grâce à mes relations personnelles de 1925 à 1938 avec Roger de Lurion, de Salins, l’éminent historien des familles franc-comtoises réputées nobles, j’ai eu pleine et entière connaissance de son fichier (maintenant conservé à la bibliothèque municipale de Besançon) : il complète utilement les notices du Nobiliaire de Franche-Comté paru en 1890 et 1894 (édition nouvelle).

D’autre part, lorsqu’en 1936 j’ai retrouvé à Lyon comme archiviste du Rhône Mr. Martial Griveaud, avec lequel j’avais beaucoup travaillé aux Archives de la Haute-Saône à Vesoul, je lui dus la communication d’archives peu connues dans notre Province : ce sont celles de l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem ou de l’Ordre de Malte concernant la Langue ou Groupe d’Auvergne, auquel appartenait la Franche-Comté, avec pour siège la Commanderie de Saint-Georges à Lyon.

Dans les « Preuves de Noblesse » fournies de 1514 à 1701 par des prétendants franc-comtois, j’ai relevé une documentation généalogique concernant 278 familles comtoises. Enfin j’ai eu la bonne fortune de me procurer un exemplaire des « Statuts de l’Ordre de Saint-Georges au Comté de Bourgogne et la liste de tous Mm. les Chevaliers dudit Ordre », depuis sa restauration vers 1431 par Philibert de Molans, jusqu’en 1770. Attribué à N. Pouthier de Gouhelans, imprimé à Besançon par Charmet en 1768 et comptant 870 notices, ledit exemplaire, en provenance de la bibliothèque de J.B. Mercier, autre enfant comtois réputé par ses écrits de 1904 et 1909 sur les ex-libris franc-comtois, est complété à la main par 15 notices pour les années 1771-1775.

La dernière liste des Chevaliers de Saint-Georges par Ch. Thuriet, imprimée en 1878, est la plus complète parce qu’elle donne d’abord d’après l’ouvrage de Saint-Mauris paru en 1833, 88 personnages désignés dans une charte de 1366, d’Aimont, archevêque de Besançon, comme ayant dû faire partie de la Confrérie avant sa restauration par Philibert de Molans.

Elle comprend d’autre part 28 chevaliers pour les années 1776-1789 et, à la Restauration, les 32 chevaliers nouvellement reçus en 1816-1817. Cela fait donc un total de 1092 chevaliers.

Mais du point de vue généalogique l’intérêt de l’ouvrage antérieur de Gouhelans réside dans ce fait qu’il donne en général les quatre quartiers de noblesse de ses 870 chevaliers, renseignement précieux pour l’établissement de la filiation. C’est que les registres paroissiaux les plus anciens de France-Comté ne datent que du début du seizième siècle, bien que l’on connaisse quelques rares exemples d’inscriptions concernant la fin du quinzième. En France d’ailleurs, ce fut seulement l’Edit d’Août 1539 de Villers-Cotterets qui obligea les curés des paroisses à dresser au fut et à mesure la liste des baptêmes qu’ils célébraient.

Il en résulte que pour plusieurs familles de l’époque médiévale et à défaut de renseignements suffisants sur les terres et fiefs dévolus après les partages à telle ou telle branche, il ne m’a pas toujours été possible de démêler celles-ci. Chaque fois donc que je ne disposait pas du document me permettant d’affirmer qu’un tel est fils d’un tel, je me suis contenté de présenter, par degrés approximatifs les réunissant tous, les membres connus et contemporains, garçons et filles, des familles en cause.

Je m’en excuse vis-à-vis des généalogistes de métier que cet à-peu-près ne peut pas satisfaire.

Un autre fait qui ne conviendra pas aux historiens de notre Province, c’est, dans la lecture des Notices classées dans l’ordre alphabétique comme il convient à un Dictionnaire, le passage brutal d’une famille médiévale, à laquelle seulement quelques lignes sont consacrées, aux nombreuses pages relatant la chronique d’une famille plusieurs fois séculaire éteinte seulement à l’époque moderne.

Ce dernier cas qui se produit quelquefois justifie l’impossibilité de classer par époques nos familles, comme y aurait incité le grapillage historique auquel je me suis livré pour les concrétiser et rompre la monotonie d’exposés strictement généalogiques.

D’ailleurs la complexité de l’histoire de la Franche-Comté nous incite à en rappeler les grandes lignes, de l’occupation romaine jusqu’après la conquête par Louis XIV.

Habitée vers le IVe siècle avant Jésus-Christ par la tribu celtique des Séquanes venue de la haute Seine et menacée par les hordes germaines des Suèges d’Arioviste, ce fut Jules César qui, avec ses Légions, en l’an 58 avant Jésus-Christ, obligea le Barbare à repasser le Rhin. Rome fit accepter à la Gaule sa législation, sa langue et ses mœurs. Mais le peuple gaulois se lassa vite de la « pax romana », et ce fut, en l’an 52 de l’ère chrétienne, la révolte générale avec pour chef Vercingétorix, auquel les Séquanes envoyèrent 12.000 hommes de renfort. Après la défaite de l’armée gauloise réfugiée dans l’oppidum d’Alesia, c’est la domination romaine en Séquanie, troublée par l’invasion des Vandales en 406 après Jésus-Christ et celle des Huns vers 450.

En 457, les Burgondes venus de Germanie fondent le premier royaume de Bourgogne qui s’étend des Vosges à la  Durance et de la Loire aux Alpes Suisses. Gondebaud leur roi est chef des armées romaines contre les Goths. Clothilde, sa nièce, épouse en 493 Clovis, roi des Francs. En 523, la lutte éclate entre Burgondes et Francs et finalement en 534 le royaume des Burgondes est rattaché au royaume des Francs. De 534 à 751, ce sont les Mérovingiens dont Gontran et Dagobert, puis Charles Martel et Pépin le Bref qui règnent sur la Bourgogne.

De 751 à 888, les Carolingiens leur succèdent avec Charlemagne, puis Louis le Débonnaire et les fils de ce dernier, dont Lothaire I qui a dans sa part, entre Germanie et France, la Bourgogne, et ses héritiers Louis II, Lothaire II et Charles le Chauve qui se partagent ses Etats en 870 et avec lesquels s’éteint la lignée carolingienne. Alors est élu roi de Bourgogne le marquis Rodolphe Welf en 888, auquel succèdent Rodolphe II en 912, Conrad le Pacifique en 937 et Rodolphe III en 994, décédé sans postérité en 1032.

La Comté échut alors à Conrad II, roi de Germanie, empereur, et époux d’une de ses nièces, son seigneur suzerain. Vassale du Saint Empire, elle eut pour premier comte Otton Guillaume sous lequel elle devint « franche », alliée à Ermentrude, dame de Macon, fille du duc capétien Robert I, mort en 1026. Lui succèdent : Renaud I, mort en 1057 ; Guillaume le Grand, mort en 1087 ; Renaud II, mort en 1097 ; Guillaume l’Allemand, mort en 1125 ; Guillaume l’Enfant, mort en 1127 ; Rainaud III, mort en 1148.  Beatrix de Bourgogne, fille de Rainaud III, s’allia, en 1156 à Warzbourg à l’empereur Frédéric Barberousse, désormais comte vassal et empereur suzerain : dès l’automne 1157, il déploya à Besançon toutes les magnificences de la cour impériale, et il fit aussi plusieurs séjours en son château de Dole.

Viennent ensuite, de 1190 à 1248, trois comtes d’origine allemande : Otton I de Hohenstauffen ; Otton II, duc de Meranie ; Otton III, dont la sœur Alix, comtesse de Bourgogne, épousa Hugues de Chalon, fils aîné de Jean l’Antique, issu des Capétiens de France ; elle mourut en 1279. Otton IV, fils du comte Hugues, a partie liée avec Philippe le Bel par la convention de Vincennes de 1295 qui fait de la Comté « une marche française » ; il meurt en 1303.  Jeanne, comtesse de Bourgogne, sa fille, qui a épousé Philippe V le long, roi de France, recrute presque tout son entourage, écuyers, échansons, aumôniers, parmi ses sujets d’Outre-Saône ; elle meurt en 1330. Jeanne de France, leur fille, épouse en 1335 le duc Eudes IV qui réunit les Bourgognes comtale et ducale pour cent cinquante huit ans (1335-1493). Après leur fils Philippe, décédé en 1346, et leur petit-fils Philippe de Rouvre, décédé en 1361, c’est à Marguerite de France, fille cadette de Philippe V, qu’échut en apanage la Comté, de 1361 à 1382. Et nous arrivons, de 1364 à 1477, aux quatre Valois de Bourgogne, Philippe le Hardi, Jean sans Peur, Philippe le Bon et Charles le Téméraire, dont Brantôme écrit : « Je crois qu’il ne fut jamais quatre plus grands ducs, les uns après les autres ».

Ils règnent non seulement sur les deux Bourgognes, mais aussi sur la Picardie, l’Artois, la Flandre et la Hollande. Leur apparition coïncide avec la disparition des vieilles races féodales telles que les Sires de Joux éteints dans les mâles en 1326, les Sires de Pesmes en 1327, les de Faucogney en 1374 et les de Montfaucon en 1396.

Nous sommes à la croisée des chemins, à la frontière de deux mondes : le Moyen Age qui se termine et la Renaissance qui s’élabore.

La Comté découpée de 1322 à 1335, sur le modèle des bailliages français, en deux bailliages dits d’Amont et d’Aval, en possède depuis 1422 un troisième dit de Dole, intermédiaire. Le Parlement stabilisé à Dole et recruté d’abord dans la bourgeoisie, la création de l’Université, la codification des coutumes sont autant de faits nouveaux qui en imposent aux derniers grands barons obligés de se soumettre au joug des lois. Ceux-ci sauront ce qu’il en coûtera en 1455 à Jean de Grandson, étouffé dans sa prison entre deux lits de plumes, par ordre du chancelier de Bourgogne Nicolas Rolin : il avait protesté contre l’institution d’un impôt général de deux francs par ménage.

Quelle est alors la vie d’un fils de nos familles terriennes ?

A douze ans, beaucoup quittent le manoir paternel pour être « nourris » à la Cour du suzerain à titre de damoiseau ou le valet. Vers quatorze ans, « ils sortent de pages » et sont fait écuyers.  L’Eglise intervient par une cérémonie religieuse, en sanctifiant l’usage des armes qu’ils ont droit désormais de porter. Selon leur emploi, ils sont écuyer du corps ou d’honneur, chambellan, échanson, panetier, écuyer tranchant ou d’écurie, et ils en ont au moins pour sept ans. Créés chevaliers es armes, ils se rendent aux montres d’armes du ban et du rière-ban du bailliage, simples revues d’effectifs passées par le bailli, « pour le Maréchal de Bourgogne ».

Qu’ils soient chevaliers bannerets, ou simplement chevaliers bacheliers, ils pourraient faire leurre la devise des d’Andelot « les combats sont mes ébats », car l’état de guerre est fréquemmnt revenu, qu’il s’agisse des campagnes de Beauce (1364), de Guyenne (1372), de Champagne (1380), de Flandre contre les Grandes Compagnies et les Anglais (1382) ; de Nicopolis la dernière croisade contre Bajazet (1396) ; des guerres contre les Liégeois (1408 et 1430) et les Gantois (1452) ; de la campagne du Dauphiné (1430), des batailles de Montlhery (1465), de Granson et de Morat (1476), de Nancy (1477) contre Louis XI et les Suisses et Lorrains ses alliés.

L’ost ou service militaire, en général de quarante jours, est la principale obligation du vassal envers le suzerain, en proportion directe avec l’importance du fief : il équipe à ses frais une ou plusieurs « lances garnies », soit : l’homme d’armes ou chevalier avec la lance et l’armure de fer, accompagné d’un page, de trois archers ou arbalétriers et d’un coutelier habillés d’étoffe, enfin de quatre chevaux, le destrier ou cheval de combat tout caparaçonné d’acier, le palefroi ou cheval de route, le roussin ou monture du page et celui à bât pour les bagages.

Le vassal a toujours d’autre part comme prestations pécuniaires les quatre aides, savoir : 1. l’aide pour la rançon du suzerain ; celle-ci de Jean sans Peur, prisonnier de Bajazet à Nicopolis, fut de 120.000 livres et celle de Hugues de Châtel-Guyon, prisonnier de Craon en 1477 au combat du pont de Magny sur l’Ognon, de 30.000 livres en 4 termes. 2. et 3. les aides pour le mariage du fils aîné ou de la fille aînée du suzerain. 4. le départ en croisade.  Quant au logis personnel du vassal, il est à la disposition dudit suzerain, « chaque fois qu’il sera besoin ».

Dans l’intervalle des guerres, c’est pour nos jeunes, la vie à Dijon, Bruges, Bruxelles, Lille, Hesdim, à la cour des ducs.

Du lever au coucher, ceux-ci sont entourés de leurs officiers et de leurs hôtes, et chacun doit « se conformer aux statuts ordonnés et débattus par eulx », avec le concours des hérauts et roys d’armes.

Alors se succèdent : les joutes ou combat singulier de près et d’homme à homme ; les tournois où les chevaliers combattent par troupes ; les pas d’armes où de nombreux champions à pied et à cheval simulent l’attaque ou la défense d’une position militaire, d’un pas ou passage étroit et difficile dans les vallées ou les montagnes.

On cite notamment : le pas de l’arbre de Charlemagne entre Dijon et Nuits, en présence du duc de Savoie (1443) ; le tournoi de la Dame en pleurs à Châlon-sur-Saône, lors du mariage d’Isabelle de Bourgogne avec le duc de Clèves (1449) ; les tournois de Bruxelles (1451) et de Lille (1454) ; les joutes de Bruges, à l’occasion du mariage de Charles le Téméraire avec Marguerite d’York (1468).           Comme autres divertissements dans les terres domaniales ou chez des grands seigneurs et barons comtoi, la chasse de haut vol au faucon alternait avec la chasse à courre au cerf et au sanglier pour laquelle Philippe le Bon entretenait 24 veneurs et valets de chiens en Bourgogne et autant en Brabant.

Dans les villes, c’était le jeu du « papegay » ou perroquet de bois peint servant de but que pratiquait la jeunesse bourgeoise enrôlée dans les compagnies de chevaliers de l’Arc, de l’Arbalète et de l’Arquebuse. Le vainqueur, dénommé le « Roi » qui avait abattu l’oiseau est exempt d’impôts pour un an ; s’il est vainqueur trois ans de suite, il est exempt sa vie durant et devient « emperuer ».

Les jeux de quilles et de boules étaient aussi partout d’un usage courant. Tout jardin avait son quillier ou dalle carrée sur laquelle se rangeaient les neuf quilles.

Enfin dans un autre ordre d’idées, il y avait parfois un rôle à tenir dans les mystères, les moralités, les farces qui se jouaient à Besançon devant l’Hôtel Consistorial, à l’occasion du renouvellement du Magistrat.

Devenus chefs de famille à leur tour, nos jeunes ont d’abord à remplir « le devoir de fief » qui doit être rendu dans l’année à chaque mutation dudit fief par décès ou acquisition. Le vassal se présente à son suzerain et en son principal manoir. Tête nue, sans épée et sans éperons, un genou en terre, joignant les mains en posture de suppliant, il requiert le seigneur de le recevoir à foi et hommage. Ce dernier assis prend entre ses mains celles de son vassal, qui prononce sur l’Evangile les mots suivants : « Seigneur, je deviens votre homme dorénavant, m’obligeant de défendre votre vie, votre corps, votre honneur et vos biens. Je vous serai fidèle et vous rendrai l’hommage, à cause des terres que je tiens de vous, sauf la loi due au roi notre souverain ».  Le seigneur lui disait alors qu’il le prenait à homme et le baisait sur la bouche. Mais tout ce qui touche à la féauté est cause de frais, surtout si à l’hommage s’ajoutent de nouvelles inféodations de biens, des lettres recognitives de noblesse, des permissions de porter un nom de terre, etc.

Aussi nombreux sont ceux qui doivent engager ou vendre une partie de leur domaine au suzerain pour s’acquitter envers lui : sinon il leur faut recourir à l’un de ces Lombards établis en Comté comme banquiers et changeurs et réputés prêteurs avec usure.           Donc la guerre ne payant plus la guerre, nos fils de famille servent comme capitaines et châtelains domaniaux, ce qui fait d’eux à la fois des chefs militaires et des administrateurs justiciers : tels Richard de Mailley, capitaine châtelain de Faucogney pour Philippe le Hardi en 1374-1375, aux gages annuels de 500 écus d’or, mais à charge d’avoir toujours avec lui trois gentilshommes suffisamment armés, huit sergents pour le guet et la garde et deux portiers.

Jacques d’Arboz, gardien du château de Vesoul pour le même duc en 1382-1390, l’obligation de résidence n’étant pas absolue.          Aymé d’Arboz, échanson de Jean sans Peur, puis châtelain d’Ornans en 1412, aux gages annuels de 40 livres.  Jean d’Arbois, dit de la Grange, capitaine d’Auxonne pour Philippe le Bon en 1450. Les gages oscillaient de 30 à 100 livres, auxquelles s’ajoutaient le logement et un casuel variant aussi selon les lieux.

Mais au cours de la campagne de 1479 menée pour Louis XI par Charles de Chaumont d’Amboise, toutes les forteresses domaniales furent incendiées et démantelées par les troupes françaises, à commencer par Dole, pour finir par Pontarlier, Baume, Montbozon et Jussey. Au total, quatre vingt douze châteaux comtois furent détruits.

Seront alors seuls en exercice comme châtelains : de 1480 à 1493, Henri Maillot à Bracon, pour Jean IV de Chalon-Arlay ; en 1483-84 pour l’archiduc Philippe le Beau, Jean d’Andelot à Châtillon-le-Duc ; Hugues Charreton à Château-Chalon ; Simon de Champagne à Montmorot ; Etienne de Falletans à Vesoul.

Alors que, de par leurs fonctions, ces châtelains domaniaux continuent la tradition chevaleresque, nombreux sont ceux qui, concurremment avec les grands bourgeois urbains, entourent le duc en son Conseil, aux trois bailliages et au Parlement : gouvernement de légistes éduqués et diplômés en partie dans les Universités de Bologne, Pavie, Padoue, Ferrare, Louvain, puis Dole, avec pour mission « d’avoir soin contre tous de toutes causes ducales ».

C’est ainsi que Guy Armenier et Etienne, son fils, d’abord baillis d’Aval, puis chefs du Grand Conseil, ont pour successeurs à la lieutenance générale d’Aval en 1423 Henri Vallée II du nom, seigneur de Vesles en Laonois et, de 1424 à 1431, Henri Vallée III du nom, son fils. Jean de Salives, lieutenant général d’Amont en 1437, est nommé en 1456 conseiller au Parlement de Bourgogne.

Trois de Vaudrey sont lieutenants généraux d’Aval : Guillaume, seigneur de Courlaoux, en 1454 ; Claude, seigneur de Laigle, en 1480, Louis, seigneur de Mutigney, en 1490.

Il importe en outre de faire état de ces Bisontins qui, comme cogouverneurs, administrèrent la Cité Impériale, tels que jean de Quingey (1397-1423), Jean des Potots (1396-1418), Henri Grenier (1441-1468) élu vingt fois dans ce laps de temps. En 1407, furent envoyés en ambassade à Paris auprès de Jean sans Peur dit Monsieur de Bourgogne sept d’entre eux, savoir Pierre de Clervaulx, Pierre Malnissert, Thibaut de Charceigne, Jehan Pourcelot, Jehan Michiel, Henri Bourgeois, Girard de Rosey et leur absence dura quatre-vingt-un jours.

En 1544, Renobert de Mesmay sera élu pour le quartier Saint-Pierre, avec pour devise sur ses jetons : « Rien ne m’esmaye » alors qu’« acta et non verba » était celle de Jean de Quingey. Ces « magnifiques et puissants seigneurs », qui ont prêté serment d’être « bon et loyal à l’Empereur et à la Cité », mettent en pratique dans leurs fonctions administratives ces devises auxquelles nous ajouterons les suivantes qui résument leur mode d’action : « Prévoir et pourvoir ». Boitouset – « Ne nuire à personne, être utile à beaucoup ». Balay – « Rien à se reprocher ». Garinet – « Par le travail et par l’étude ». Linglois – « Très aimant de l’équité ». Philippe.

Ces citoyens sont les dignes ancêtres de ces Comtois qui, en pleine guerre de Dix Ans, à l’envahisseur qui leur disait : « Comtois, rends toi », répondront fièrement : « Nenny, ma foy ».

En matière de conclusion, il importe, en replaçant toujours nos familles comtoises dans l’ambiance de l’époque, de souligner que celles existantes en 1668, à l’aube de la conquête par Louis XIV, diffèrent des familles françaises, de celles surtout qui vivent à la Cour de Versailles. Elles ont respiré l’atmosphère de ces villes à bourgmestre et cogouverneurs dont les mœurs, à l’époque des dominations allemande et espagnole rappellent les républiques et villes libres d’Italie et des Flandres. Certes nombreuses encore sont les familles nobles de race remontant à l’époque féodale et qui continuent les traditions de l’ancienne Chevalerie. A côté d’elles se perpétuent les familles anoblies par les dominations successives de la Province et, comme au temps des Grands Ducs d’Occident, tout en payant aussi à l’Armée l’impôt du sang, elles continuent de se partager avec la grande bourgeoisie les emplois administratifs et législatifs, au service du Prince.

Telles les anciennes familles patriciennes de Besançon qui pratiquaient les métiers et le négoce et dont plusieurs comme orfèvres, argentiers, ferronniers tenaient le haut du pavé au temps de la Cité Impériale, elles ont pour maxime : « le travail est un trésor ».

Nous sommes donc loin, après la conquête, de cette noblesse française pour laquelle vivre noblement en période de paix, c’est vivre à ne rien faire.

Celle-ci n’est pas riche et dans les terres de fief qu’elle possède elle n’a pas la possibilité de faire de la grande culture, un décret royal renouvelé en 1661 limitant à quatre le nombre de « charrues » que les gentilshommes, bourgeois et autres privilégiés pouvaient exploiter eux-mêmes. La raison est que « la terre labourée par un privilégié n’aurait pas payé la taille roturière ».

C’est le Roi qui la fait vivre par des emplois rétribués dans sa « Maison » de pages notamment qui en compte plus de cinquante à la Grande et à la Petite Ecurie à Versailles, puis dans les Compagnies de Gardes du Corps dont, malgré Colbert, la solde est « triplée et même quintuplée ».

Aussi louons la noblesse comtoise d’avoir su par le travail se suffire à elle-même. Elle vit non point à la Cour mais dans la Province où elle conserve les terres et biens hérités des ancêtres, contrastant ainsi avec le hobereau français dont la Bruyère nous fait le portrait, dans « Les Caractères », d’après nature (1688-1694).

Ce dictionnaire compte 1047 anciennes familles, dont 960 sont citées par de Lurion : par les faits historiques rappelés à leur sujet, il est un « livre d’or » à leur mémoire. Il était appelé à être préfacé par le regretté Mr. Lucien Febvre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, « passionné d’histoire franc-comtoise » ; et qui « aimait ces itinéraires à travers le temps ».

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L’ORDRE DES ARTS ET DES LETTRES

Préface

 

Les décorations qui constituent un signe d’honneur remis à titre définitif à celui qui l’a mérité sont aussi anciennes que l’histoire du Monde. Dès l’Antiquité la plus reculée, nous trouvons de tels insignes distinctifs qui placent le porteur au-delà du commun et le désignent aux yeux de la foule, en raison de ses mérites, de sa valeur, de son intelligence ou de son dévouement. Les Egyptiens connaissaient cette institution, les Grecs connaissaient les couronnes d’honneur, Rome connaissait plutôt les décorations militaire, notamment en décernant des couronnes rostrales pour le soldat qui s’était distingué dans un combat naval, des couronnes vallaires pour celui qui s’était distingué à l’assaut d’une palissade ou d’une muraille et des couronnes civiques pour avait ceux qui avaient sauvé un citoyen au combat. L’époque moderne a maintenu ces usages mais elle a distingué dans les décorations c’est-à-dire tout insigne qui peut se porter sur la poitrine, sur l’uniforme ou l’habit attaché à un ruban de couleur et portant à son extrémité une médaille, une croix ou une étoile, les ordres de chevalerie proprement dits qui font entrer le titulaire dans une société, une famille et les médailles qui ne font entrer dans aucune société mais commémorent un évènement.

 

 La chevalerie est apparue vers l’en 1000 à une époque ou l’Eglise tentait de ramener la paix entre ses sujets d’Occident, paix qui avait disparu par suite des habitudes guerrières de certains seigneurs puissants, armés ou audacieux, on recruta donc des hommes de bien et on leur demanda d’assurer une sorte de gendarmerie, pour cela il fallait qu’ils fussent équipés d’un cheval et savoir manier les armes diverses qui existaient de leur temps. L’institution réussit dans une certaine mesure et amena à la trêve de Dieu, à la paix de Dieu et en attendant le rétablissement de la puissance de l’Etat à qui cette mission de paix incombe, et réussi à ramener une sorte de civilisation qui rappelait la paix romaine. Mais bientôt ces chevaliers inemployés et dont le modèle solitaire, ridicule et tardif en l’inoubliable Don Quichotte créé par Cervantès partirent pour les croisades et pour rétablir l’ordre en faveur des pèlerins qui se rendaient au tombeau du Christ. C’est une tradition constante dans l’Eglise depuis les origines que le Saint-Sépulcre et les lieux où le Christ avait vécu sa Passion fussent visités par les chrétiens. L’expédition était difficile et dangereuse en raison des maladies des fatigues et des bandits de grands chemins mais la tradition est constante aussi bien le voyage d’Etherie que celui de l’ « anonyme de Bordeaux » nous montre la constance de ces pèlerinages aux lieux saints. La conquête de ces lieux par les musulmans renforça les difficultés. Il ne s’agissait plus simplement de difficulté d’un voyage long et pénible mais de véritables embuscades que les musulmans dressaient aux chrétiens aboutissant à des combats, à des réductions à l’esclavage et créant ainsi une situation dangereuse. L’Eglise d’Occident décida donc de tenter les premières croisades pour s’emparer des lieux saints et en permettre le libre accès de communication. Elle rejoignit les Ordres hospitaliers qui accueillaient les pèlerins fatigués qui arrivaient en Terre Sainte et c’est ainsi que se sont crées l’Ordre de Saint Jean Jérusalem puis de Rhodes puis de Malte dont la puissance fit du Grand Maître un véritable chef d’Etat, les Templiers, moines combattants et non hospitaliers qui disparurent après le rapatriement des chrétiens de Terre Sainte et notamment en raison de l’avidité de Philippe Le Bel qui fit brûler le Grand Maître Jacques de Molay accusé mensongèrement de crimes imaginaires, l’Ordre du Saint-Sépulcre qui comportait les « Suisses » c’est-à-dire les gardiens du Saint-Sépulcre qui pouvaient à certains moments intervenir dans la protection de Jérusalem et l’Ordre de Saint-Lazare créé surtout pour les chevaliers atteints de lèpre ou de maladies coloniales identiques et qui étaient capables d’apporter des secours militaires, leur courage et leur force et qui termina, repris par le Roi de France, sous le nom de l’Ordre de Saint Lazare et de Jérusalem qui disparut définitivement en 1830. Mais en même temps que ces Ordres religieux, pieux, existaient et dont les bienfaits étaient certains, les Souverains d’Europe s’aperçurent que l’institution était politiquement riche puisqu’elle permettait à un souverain de s’entourer de chevaliers fidèles dévoués liés à sa personne par un serment dont il ne pouvait plus se déprendre. Le premier est la Toison d’Or fondée par Philippe Le Beau, Grand Duc de Bourgogne, le second est la Jarretière typiquement anglais et la France ne pouvait pas rester à l’écart de cette création d’ordres de chevalerie religieux mais également l’aspect d’ordre politique. Elle en fonda plusieurs dont le premier est de Saint-Michel, l’archange protecteur de la France et c’est Louis XI le 1er Août 1469 qui pour mieux combattre Charles le Téméraire et sa Toison d’Or créa l’ordre de Saint-Michel qui comportait au début 36 gentilshommes seulement placés sous la grande maîtrise du Roi et dont le siège de la confrérie était dans l’abbaye de Saint-Michel avant d’être transférée chez les Cordeliers de Paris et qui fut le seul ordre véritable français en tout cas le premier. Mais l’augmentation incessante du nombre de chevaliers rendit nécessaire une sorte d’épuration ou tout au moins de renforcement de la qualité des chevaliers nouvellement adoubés et c’est Henri III qui voulant compter ses fidèles créa un deuxième ordre qui en fait par sa rareté devint le premier tandis que Saint-Michel devenait le second en importance. Cet ordre premier, c’est le Saint-Esprit qui récompense des mérites éminents alors que le second Ordre de Saint-Michel ne récompense plus que les mérites distingués. La croix en était d’or et d’émail et elle était portée à l’extrémité d’un cordon noir et les chevaliers du Saint-Esprit étaient en même temps chevaliers de Saint-Michel c’est à dire les Ordres du Roi réunis c’est la raison pour laquelle sur les grandes armes qui figurent souvent sur les reliures de livres précieux les deux cordons du Saint-Esprit et de Saint-Michel figurent l’un à côté de l’autre de façon à bien montrer qu’il n’y a finalement qu’un ordre, même s’il y a deux fondations et deux appartenances différentes.

 

Si l’Ordre du Saint-Esprit était réservé à la haute noblesse qui avait accompli des actions d’éclat, l’Ordre de Saint-Michel était plus modéré dans ses appétits de gloire et on y trouve à côté de militaires importants et courageux, des magistrats, des administrateurs, des peintres, des dessinateurs, des graveurs, des sculpteurs, des surintendants de la musique du Roi, des avocats et des personnalités du commerce et de l’industrie et notamment des directeurs de la Compagnie des Indes, des savants tels Montgolfier puis Chaptal, des ingénieurs des Ponts et Chaussée et de nombreux médecins. La révolution française supprima l’Ordre de Saint-Michel comme celui du Saint-Esprit et comme tous les autres Ordres d’ailleurs et créa des médailles commémoratives d’évènements puis des armes d’honneur et des armes de récompense avant que Bonaparte qui souffrait de voir son Etat reconstitué ne pas avoir des fonctionnaires ornant leurs poitrines de décorations que les ambassadeurs étrangers portaient avec aisance, décida le 15 Février 1802, après avoir reçu les ambassadeurs de toutes les nations d’Europe désormais en paix (pour peu de temps) avec la France qui portaient des costumes ornés de sautoirs, de plaques et d’écharpes. Selon les mots de Vivant Denon rapportés par Arnault, Bonaparte aurait dit « cela relève le physique du personnage qui en est paré, cela habille l’homme ». Dès le 15 Février à Malmaison, lors d’une réception hebdomadaire, il lançait un ballon d’essai et malgré les avis réservés d’un certain nombre de ses collaborateurs, il fit préparer par le Conseil d’Etat une loi, la loi du 29 floréal an 10 (19 Mai 1802) suivi d’un décret du 23 septembre 1804 (1er vendémiaire an 12) créant les insignes de cette nouvelle institution qu’il avait baptisée du nom de Légion d’Honneur et qui s’inspirait à la fois des ordres anciens et de l’Ordre de Saint-Louis. Le succès fut immense, le Premier Consul, par cette institution, avait crée une de ces masses de granit « dont il disait qu’elles étaient nécessaires pour ancrer la France dans le monde européen où elle méritait la première place ». Il créa d’autres ordres, l’Ordre de la Réunion, premier ordre européen, il pensa un instant instituer un Ordre impérial des Trois Toisons d’Or auquel il renonça dès 1809, ses frères et son beau-frère Murat créèrent chacun dans leurs états des Ordres et pour l’Italie, dont il était le souverain, il créa l’Ordre de la Couronne de fer. Tous ces Ordres, sauf la Légion d’Honneur furent supprimés à la Restauration, subsistaient toutefois les palmes académiques qui n’étaient pas proprement parlé une décoration mais un insigne que les professeurs portaient sur leurs toges et qui manifestaient l’estime que le gouvernement leur donnait et qui plus tard et notamment sous Napoléon III avec Victor Duruy devint une décoration séparée du costume et de la robe professorale permettant ainsi aux simples instituteurs de porter sur leur costume ou sur la blouse grise qui les revêtait quand ils enseignaient, cet ordre prestigieux, les Palmes Académiques. Plus tard, d’innombrables ordres ou décorations militaires furent crées, commémorant les victoires de Napoléon III, rappelant le souvenir de Napoléon Ier (médaille de Sainte Hélène) et ensuite commémorant les batailles à laquelle les armées de la république avaient été mêlées. Napoléon III créa la médaille militaire pour les sous-officiers et pour les maréchaux ayant commandé en chef devant l’ennemi, la guerre de 1914 avec les actes héroïques si nombreux qu’elle suscita créa l’institution des croix de guerre qui continuent à prospérer selon les guerres que la France est obligée d’accomplir pour faire respecter les droits des peuples et notamment la liberté, aujourd’hui elle est nommée croix de la Valeur Militaire. Ainsi, un certain nombre de décorations manifestent la vaillance des Français.

 

Mais en même temps que cette inflation militaire existait, il restait les mérites civils à récompenser. On se servit dans un premier temps des décorations coloniales puisque les souverains dont on avait conquis les îles lointaines avaient parfois des décorations qui furent francisées, attribuées sous la direction de la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur par les ministères compétents ainsi cinq ordres coloniaux furent maintenus visés par le décret du 10 mai 1896 qui rappelait que ces ordres seraient désormais accordés par décision du Président de la République Française prises sur le rapport du ministre des colonies ce qu’il en faisait de facto des ordres français, ordres à cinq grades comme la Légion d’Honneur. Mais auparavant furent créés les ordres ministériels, c’est-à-dire que chaque ministère entreprit de grouper les personnes méritantes relevant de sa compétence dans un ordre à trois grades qui tentait de récompenser les différentes activités françaises, Mérite Agricole (7 juillet 1983), Mérite Maritime (9 janvier 1930), Santé Publique (18 février 1938), Mérite Commercial (27 mars 1939), Mérite Touristique (27 mai 1949), Mérite Combattant (14 septembre1953), Mérite Postal (14 novembre 1953), Ordre de l’Economie Nationale (6 janvier 1954), Mérite Social (25 octobre 1936), Mérite Sportif, décret du 6 juillet 1936, Mérite du Travail, décret du 21 janvier 1957, Mérite Militaire, loi du 22 mars 1957, Arts et Lettres institué par le décret du 2 mai 1957 et qui a pour vocation de récompenser les françaises, français et les étrangers qui par leurs créations dans le domaine artistique ou littéraire ont contribué au rayonnement des Arts et Lettres.

 

Cet ordre, celui des Arts et Lettres, est certainement le plus beau type de décoration puisqu’il a été créé par un célèbre ferronnier d’art, Raymond Subes, membre de l’Institut qui, après des recherches nombreuses, créa une décoration assez exceptionnelle dans ses qualités esthétiques, différente dans la dimension de son ruban et qui porte l’anomalie de présenter l’effigie de la République sur le revers et non sur l’avers.

 

Mais abandonnons un instant cet ordre des Arts et Lettres qui fête son cinquantenaire cette année pour citer les dernières décorations ministérielles qui furent instituées. Le Mérite Civil du Ministère de l’Intérieur, décret du 14 octobre 1957, le Mérite Saharien, décret du 4 avril 1958.

 

Le français était donc un homme décoré puisqu’à différents titres il pouvait porter une décoration et parfois ses mérites étaient tels qu’il les cumulait avec abondance. Le Général De Gaulle qui pour sa part avait crée un ordre prestigieux, l’Ordre de la Libération institué par une ordonnance du 16 novembre 1940 prise à Brazzaville et organisée par un décret du 29 janvier 1941, estima que cette abondance d’ordres avait un effet nocif pour la réputation des français, le français n’était plus seulement l’homme à la flûte de pain sous le bras et au béret basque, c’était en plus un homme décoré et qui portait ses décorations d’une manière non pas ostentatoire mais visible sur son costume de ville alors que les britanniques portent très rarement leurs décorations s’ils les mettent avec abondance sur leurs cartes de visite avec des initiales incompréhensibles pour les personnes étrangères à la Grande-Bretagne. Le Général De Gaulle décida donc de supprimer tous les ordres ministériels et de les remplacer par un ordre unique l’Ordre National du Mérite créé par décret du 3 décembre 1963. Toutefois ce décret qui faisait table rase des décorations françaises, laissant toutefois à ceux qui les avaient obtenues le droit de continuer à les porter leur vie durant, épargna quatre Ordres particuliers pour des raisons spécifiques. Le premier fut le Mérite Agricole si ancien et si désiré par les agriculteurs fondé par Méline, le second les Palmes Académiques, le plus ancien si on se réfère aux palmes portées sur la robe universitaire, un des plus récents dans son assimilation aux Ordres ministériels, le Mérite Maritime qui récompense tant de dévouement d’un pays qui est ouvert sur quatre côtés sur la mer dont la vocation maritime est certaine et enfin l’Ordre des Arts et Lettres, créé par René Billères, Ministre d’Etat chargé de l’Education Nationale et Jacques Bordeneuve, Secrétaire d’Etat aux Arts et Lettres.

 

Les statuts ont été constamment amendés pour mieux correspondre aux objectifs voulus par les créateurs, le dernier décret date de 2005 qui réorganise le conseil de l’ordre en fonction des titres nouveaux pris par les différents directeurs du Ministère mais cet ordre a pris une importance grandissante en raison de l’intérêt que lui porta André Malraux dont on connaissait à la fois la culture, le zèle pour les Arts et les Lettres et l’influence qu’il pouvait avoir auprès du Général De Gaulle, c’est la raison pour laquelle l’Ordre des Arts et Lettres au lieu de passer dans la fournée de suppression des mérites ministériels survécut avec une gloire certaine puisque les décorés sont peu nombreux mais choisis avec une grande qualité et que cette décoration pour des étrangers est souvent plus précieuse à leurs yeux, que la Légion d’Honneur elle-même.

 

Or il se trouve qu’un érudit, Monsieur Régis SINGER, a réussi à rassembler tous les textes nécessaires pour bien connaître l’Ordre des Arts et Lettres et connaissant la famille du créateur de l’insigne, Raymond Subes, dont on ne dira jamais assez qu’il a créé la plus belle décoration française sur le plan esthétique, a réussi à écrire un ouvrage qui raconte non seulement l’histoire de cet Ordre mais la recherche esthétique à laquelle Raymond Subes a dû se consacrer pour aboutir à cet ordre prestigieux, après quinze essais qui lui parurent infructueux en tous cas insuffisants pour le but qu’il s’était fixé.

 

C’est ainsi qu’en recherchant l’histoire des ordres ministériels et particulièrement celle des ordres destinés à récompenser les artistes, on découvre que à partir de Louis XVIII et donc de la Restauration, l’Ordre de Saint-Michel est devenu l’anticipation de l’Ordres des Arts et Lettres et que Saint-Michel dans sa conception primitive avait disparu à la Révolution pour ne jamais être recréé avant la Restauration.

 

On peut donc dire sans exagération que l’ancêtre des Arts et Lettres est l’Ordre de Saint-Michel, ce qui ferait de cet ordre récent, l’ordre le plus ancien de la France puisque créé en 1469 alors que la Légion d’Honneur créée, tout au moins décidée le 14 février 1802 et créée le 19 mai 1802, s’inspire profondément de l’Ordre de Saint-Louis en l’étendant toutefois aux civils, l’Ordre de Saint-Louis ne fut créé par Louis XIV qu’en avril 1793. La preuve de cette fonction d’ordre des mérites artistiques et culturels confié à l’ordre des Arts et Lettres succédant à l’Ordre de Saint-Michel ressort des textes mêmes qui le régissent. Par l’ordonnance du 16 novembre 1816, le Roi Louis XVIII destine officiellement l’Ordre de Saint-Michel aux écrivains, aux savants et aux artistes et à tous ceux qui avaient pu généralement rendre service à l’Etat sans faire nécessité de condition de noblesse ou de religion. Le cordon noir devient alors la plus haute distinction civile du Royaume et les promotions font la part belle aux Sciences et aux Arts et s’ouvrent peu à peu aux Lettres avec André Dacier ou Quatremère de Quincy et Raynouart en outre des peintres tels Carl Vernet, Girodet, Gros, Gérard, Guérin, Granet, des architectes comme Fontaine, Brongniart, Peyre, Grondoin, des sculpteurs comme Bosio et Cartellier, bénéficient de ces Arts et Lettres avant la création de cet Ordre nouveau, la meilleure preuve en est dans la reproduction de l’inauguration du salon de 1824 dû au tableau de Heim (Musée de la Légion d’Honneur – Musée de Versailles), ce tableau montre l’inauguration le 15 janvier 1825 par le Roi Charles X du salon des Artistes au Louvre, dans le salon carré, le Roi Charles X distribue des croix aux artistes et on voit sur le tableau de Heim, le Roi assisté du Vicomte Sosthène de la Rochefoucauld, chargé du département des Beaux-Arts, muni de la liste des chevaliers, le comte de Fordin directeur des Musées et Cailleux, secrétaire général des Musées tiennent les insignes que le Roi accroche sur les poitrines, notamment celle de Carle Vernet et du sculpteur Cartellier. On a donc par cette reproduction la preuve évidente que les Arts et Lettres ont été créées par une transformation de l’Ordre de Saint-Michel et sont le plus ancien Ordre français même si on ne fête le cinquantenaire de la création officielle de cet Ordre en l’année 2007[1].

 

On peut donc conclure que l’Ordre des Arts et Lettres constitue bien un ordre et non pas une décoration, c’est-à-dire une société de personnes qui dans le domaine où elles ont été décorées sont placées sous l’autorité directe du pouvoir qui peut les retrancher en cas d’indignité et qui sont animées d’un but identique, c’est-à-dire la protection des différentes entreprises ayant un rapport avec les Arts, les Lettres, la Culture et la Communication. Une association des membres de cet ordre a existé depuis l’origine et un certain nombre de personnes dévouées veulent lui redonner une existence réelle de façon que les liens qui ont été contractés entre les membres de cet ordre du fait d’une nomination commune puisse être exploitée pour la plus grande gloire des Arts.

Le plus ancien ordre français qui est maintenant un des plus récents mais qui atteint l’âge important pour une décoration du demi siècle, illustre bien les mots de Montaigne concernant les décorations et les ordres de chevalerie qui commençaient à apparaître de son temps : « Cela a été une belle invention et reçue en la plupart des « polices » du monde d’établir certaines marques vaines et sans prix pour en honorer et récompenser la vertu. Nous avons pour notre part et plusieurs de nos voisins, les Ordres de chevalerie qui nous sont établies qu’à cette fin, c’est à la vérité une bonne et profitable coutume de trouver moyen de reconnaître la valeur des hommes rares et excellents et de les contenter et satisfaire par des paiements qui ne chargent aucunement le public et qui ne coûtent rien aux Princes. »

 

On ne saurait mieux dire, les artistes désintéressés par nature, sont peu à peu distingués et propulsés sur le devant de la scène avec l’aide du Ministre de la Culture et de la Communication, l’avis d’un Conseil de l’Ordre pluridisciplinaire dont la science et l’objectivité sont dignes d’éloges et ces nominations dans l’Ordre des Arts et Lettres évoluent au fur et à mesure de l’évolution du goût français. Tel qui paraissait un révolutionnaire il y a vingt ans est aujourd’hui considéré comme un classique. Il est donc important, maintenant qu’il n’y a plus de salon officiel organisé par l’Académie des Beau-Arts, d’avoir une reconnaissance officielle du talent français et des étrangers notables et surtout de l’évolution du goût qui permet de découvrir des artistes nouveaux et des illustrations nouvelles de notre vie sociale française et étrangère.

 

André DAMIEN,

Membre de l’Institut,

Membre du Conseil de l’Ordre de la Légion d’Honneur,

Vice-président du Conseil de l’Ordre des Arts et Lettres.

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