L’histoire de l’ordre du Saint-Sépulcre que l’on a paré des fastes d’une haute antiquité est l’histoire complexe d’une institution en constante mutation depuis le XIIe siècle jusqu’en 1949. Les travaux sur l’ordre du Saint-Sépulcre sont à leur début. Peu d’historiens ont été tentés par une étude critique de ses origines et de son histoire antérieure à la réorganisation par Pie IX en 1847 et 1868. Parmi les pionniers, il faut citer Kaspar Elm et Jean-Pierre de Gennes.
1. Un ordre entouré de légendes.
1.1. Les fondateurs mythiques, Jacques le majeur, l’impératrice Hélène, Charlemagne.
L’homme du XVIe siècle a besoin d’enraciner son histoire dans une tradition séculaire. C’est ainsi que les historiographes et laudateurs de l’Ordre ont voulu, alors, lui trouver d’illustres fondateurs, pour prouver son antiquité d’un ordre qui le rattacherait plus directement à l’insigne relique qu’est le tombeau du Christ. Trois personnages incontournables sont nommés, l’apôtre Jacques, l’impératrice Hélène et l’empereur Charlemagne. Jacques le majeur, celui que les Évangiles appellent le frère du Seigneur, devient après la mort de Jésus, le responsable de la communauté chrétienne de Jérusalem dont il est considéré comme le premier » évêque « . Rien de plus naturel à ce qu’on lui attribue la désignation d’une efficace garde d’honneur pour le tombeau ; c’est ainsi que les chanoinesses du Saint-Sépulcre le tiennent pour leur fondateur. L’impératrice Hélène, mère de Constantin, séjourne à Jérusalem en 326 avant de se retirer en Bithynie. La tradition l’associe à la construction de la grande basilique constantinienne et à la découverte de la vraie croix ; cet intérêt pour le Saint-Sépulcre la fait tout naturellement désigner comme fondatrice de l’ordre par les chevaliers du XVIe siècle. Elle est d’ailleurs fréquemment représentée en costume de chanoinesse du Saint-Sépulcre. L’ordre se place aussi sous l’ombre protectrice du grand empereur d’Occident, Charlemagne qui envoie deux brillantes ambassades auprès du calife de Bagdad aboutissant au protectorat franc sur la Terre sainte. Une chanson de geste, moins connue que celle de Roland, La geste du roi, narre ses aventures légendaires en Méditerranée et son pèlerinage à Jérusalem. Il ne faut qu’un pas pour le désigner également comme fondateur de l’Ordre.
1.2. Godefroy de Bouillon et les gardiens du sépulcre.
L’attribution de la fondation de l’Ordre à Godefroy de Bouillon est plus proche de la réalité. On sait que le duc, dès son installation dans Jérusalem délivrée, désire structurer la vie spirituelle organisée autour du sépulcre. Il en confie la garde et l’entretien à vingt clercs, formant un chapitre qu’il dote amplement et dont les membres vivent en communauté comme leurs confrères européens. Vers 1114, ils adoptent la règle dite de saint Augustin qui est une règle de vie commune assez simple que l’on retrouve un peu partout en Europe. Ce chapitre assure la vie du sanctuaire et la prière quotidienne pendant toute la durée du royaume franc. Entre 1187 et 1244, il se replie à Tyr puis à Acre avant de revenir à Jérusalem à la faveur du traité de Jaffa, jusqu’à la perte finale du royaume en 1291. On sait également qu’une fraternité d’hommes et de femmes que l’on pourrait comparer à un tiers ordre vit tout près du Sépulcre et assistent aux offices canoniaux. A ce groupe s’incorporent, de manière plus ou moins formelle, d’anciens croisés retirés là pour y mener une vie de prière. La plupart de ces chevaliers rejoignent après 1118, Hugues de Payns qui s’installe au Temple. Il y a donc autour du Saint-Sépulcre, une importante vie liturgique où se côtoient clercs et laïcs. Cependant les chanoines ne sont pas les chevaliers ; jamais ils n’ont troqué l’aumusse pour la cote de maille et l’épée comme on l’a trop souvent écrit. Lorsqu’il a fallu quitter Jérusalem, ils sont partis sans se battre.
1.3. Une réalité : la noblesse européenne se fait adouber auprès du Tombeau.
Les nobles croisés fixés dans le royaume latin de Jérusalem organisent un système féodal calqué sur ce qui existe en Europe et en France plus particulièrement, même type d’administration et mêmes règles de conduite. Il est certain que l’adoubement liturgique est pratiqué dans cette société comme elle l’est en Europe. Dès l’installation du royaume franc, il est très vraisemblable que de jeunes nobles soient armés chevalier dans l’église du Saint-Sépulcre, près du Tombeau. Cette pratique a sa part dans l’installation de la » légende » d’un corps armé gardien du Tombeau, alors que ce ne sont que des soldats nobles adoubés pour le service des rois de Jérusalem et la défense du royaume. La confusion que de nombreux historiens ont faite entre les différents groupes de familiers du Saint-Sépulcre vivant près des chanoines et les chevaliers adoubés sur le tombeau du Christ, leur a permis de désigner Godefroy de Bouillon comme fondateur d’un ordre de chevalerie en vue d’assurer la défense du Saint-Sépulcre qui d’ailleurs pendant cette période n’est plus directement menacé. La confusion a été entretenue par le souvenir des chevaliers adoubés auprès du sépulcre qui se groupent en France en confrérie.
2. Trace de la chevalerie du Saint-Sépulcre en Europe après la perte des Lieux saints.
2.1. La custodie de Terre sainte et le contexte dévotionnel.
Vers 1333, alors que le royaume latin a disparu depuis une quarantaine d’années, le Saint-Siège confie la Terre sainte et plus particulièrement le Tombeau aux frères de la corde ou franciscains en accord avec l’autorité musulmane. Le supérieur de la communauté prend le nom de Père Custode, c’est à dire gardien. Les frères mineurs encouragent le rite d’adoubement dans un lieu si auguste, pensant ainsi sauvegarder le contenu spirituel et intrinsèquement chrétien de la chevalerie. Pour bien réaliser l’importance de ce désir d’adoubement, il faut évoquer le contexte dévotionnel. La dévotion à la Passion de Jésus est depuis le IXe siècle au centre de la vie chrétienne. Le terrain où se développe la chevalerie du Saint-Sépulcre est préparé et entretenu par un fort courant dévotionnel multiple et convergent autour des lieux saints et de la Passion du Christ. Le moyen-âge aura » la passion de la Passion du Sauveur « . Cette compassion profonde à la souffrance de Jésus est répandue par Bernard de Clairvaux puis par François d’Assise dont les élans d’amour se manifestent par la réception des stigmates.
Lorsque les occidentaux quittent la Palestine, sachant que le pèlerinage sera désormais difficile, l’idée germe de le substituer en créant les conditions d’un pèlerinage fictif. Les franciscains établis à travers l’Europe sont les principaux acteurs de cette nouvelle manière, toute mystique, de pèleriner. On propose un pèlerinage intérieur en s’aidant de divers éléments: les reliques de la Passion et les reconstitutions du Saint-Sépulcre. C’est également l’apparition de la méditation de la Via crucis, le chemin de la croix qui évoque la montée de Jésus vers le Calvaire. Méditation qui se concrétise par l’élévation de sacri monti en Piémont, de calvaires monumentaux en Provence et de Ölbergen en pays rhénans. Ce terrain dévotionnel, entretenu à partir du XIVe siècle par les franciscains, est particulièrement fécondé par les descendants de ceux qui naguère ont séjourné et combattu pour la sauvegarde des lieux saints. Dans leur cœur, reste ancrée une fidélité à la terre foulée par le Christ, fidélité qu’ils transmettent à leurs enfants et à leurs proches.
2.3. L’Ordre canonial.
Les chanoines du Saint-Sépulcre se retirent de Terre sainte, avec les troupes ou ce qu’il en reste. Après la prise de Saint-Jean d’Acre par les mamelouks du sultan Al-Malik-al-Ashraf Khalil, en 1291, ils prennent pied en Ombrie, pays de saint François et s’installent dans une de leur propriété, le couvent Saint-Luc de Pérouse. Le supérieur de cette communauté se désigne comme Prieur de l’Ordre du Saint-Sépulcre. Cet ordre canonial essaime ensuite dans toute l’Europe, jusqu’aux confins des chrétientés latines de Slavonie, de Pologne et de Bohème. En 1489, Innocent VIII décide la suppression de l’ordre canonial et l’incorporation de ses biens à l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, voulant ainsi unir toutes les forces vives contre l’Islam dans le projet de croisade qu’il tenait à cœur depuis le début de son pontificat. La décision du pape Cibo est confirmée par Jules II en 1505 et Pie IV en 1560. C’est ainsi que le grand-maître de l’Ordre de Saint-Jean ajoute à ses titres celui du Saint-Sépulcre. Cependant la décision papale est une demi-mesure car l’indépendance acquise par les prieurés espagnols, siciliens et allemands les met à l’abri et évite leur disparition. En outre, le décret papal ne vise que l’ordre canonial, désigné comme militia et non les chevaliers adoubés auprès du Sépulcre qui ne sont pas encore regroupés officiellement sous l’appellation d’Ordre du Saint-Sépulcre.
2.3. Le pèlerinage continue, les adoubements aussi.
» Bons chevaliers se font au Saint-Sépulcre de Notre Seigneur, par amour et honneur de Lui « , écrit le chroniqueur Antoine de Sales (1390-1464). Force est de constater que jusqu’à la fin du XVe siècle, un nombre relativement important de pèlerins européens visitent les lieux saints et bon nombre de jeunes nobles se font adouber auprès du Tombeau. Le désir du voyage vers Jérusalem, pèlerinage par excellence, est entretenu en Europe par l’exaltation de l’idéal chevaleresque et le contexte dévotionnel décrit plus haut. Le souvenir des croisades est perpétué par les chroniques. Richard-cœur-de-lion et saint Louis de France sont autant de modèles que l’on donne en exemple à la jeunesse. Le rituel d’adoubement est bien établi. La chevalerie longtemps conférée par des chevaliers de passage ou amenés dans la suite des impétrants, trouve son expression en la personne d’un noble croisé retiré à Jérusalem, Jean de Prusse, frère-lai et procurateur des frères mineurs.
2.4. La confrérie royale française.
De retour en Europe, les pèlerins de Terre sainte se groupent en confrérie afin de rester en lien spirituel avec la Palestine. Parmi les plus anciennes, il faut noter celle de Saragosse. Par ailleurs, une tradition sans fondement, attribue à saint Louis l’établissement en 1254, de la confrérie royale du Saint-Sépulcre pour les chevaliers français et son installation à la Sainte-Chapelle. En fait, la confrérie est établie en 1325 par Louis de Bourbon, petit-fils de saint Louis dans une église élevée dans la rue Saint-Denis, connue depuis sous le vocable d’église du Saint-Sépulcre. La première pierre est posée par l’archevêque d’Auch, Guillaume en présence de la veuve du Hutin, Clémence de Hongrie. Les statuts sont établis en 1329 avec l’approbation du roi Philippe VI. Le prince de Bourbon, armé chevalier à Jérusalem y adjoint un hôpital pour les pèlerins. L’institution hospitalière décline dès le XVe siècle et la confrérie de la rue Saint-Denis se transporte sur la rive droite de la Seine, auprès de l’église conventuelle des Cordeliers où elle est officiellement reçue en 1555. La confrérie rassemble indifféremment les chevaliers adoubés au Saint-Sépulcre et les pèlerins revenant de Terre sainte.
3. Alexandre VI crée l’ordre » moderne « .
3.1. l’Ordre du Saint-Sépulcre est désigné comme tel.
Jean de Prusse meurt, en 1498 ou 1499, ne laissant personne pour lui succéder dans sa fonction de collateur. Pour pallier cette absence et satisfaire les nobles pèlerins, le père custode obtient du Saint-Siège, vraisemblablement d’Alexandre VI Borgia (1492-1503), les pouvoirs de conférer la chevalerie sur le Tombeau du Christ. La décision d’Alexandre VI est verbale ; elle est par la suite confirmée par plusieurs papes au cours du XVIe siècle, verbalement par Léon X en 1516 et Clément VII en 1525, puis par bulle de Pie IV en 1561. Léon X donne au custode la permission de créer ou d’ordonner des chevaliers du Saint-Sépulcre. L’ordre est donc né officiellement en 1561.
C’est en ce début du XVIe siècle que sont forgées de toute pièce, la Charte de l’institution de la chevalerie du Saint-Sépulcre de Jérusalem, daté du 1er janvier 1099 et la Charte de Baudouin, donnant à l’Ordre ses lettres de noblesse et une antiquité nécessaire à sa notoriété. La charte est déposée officiellement au Saint-Sépulcre, par l’ambassadeur du roi de France, Gabriel d’Aramon de Valabrègue, tandis qu’une copie authentique, conservée aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France, est remise au trésor de l’église du Saint-Sépulcre de Paris.
3.2. Les admissions, les lettres.
Dès le début du XVIe siècle, les conditions d’admission sont clairement établies selon trois critères, la religion, l’état des personnes et la situation sociale. Les franciscains s’enquièrent de la » pureté de la foi » des candidats. Le caractère même de l’Ordre fait qu’il est sollicité par des chrétiens attachés à la Terre sainte. L’appartenance à la religion réformée pose quelques cas de conscience : malgré le désir d’être adoubé peut-on appartenir à un ordre inféodé au pape, peut-on appartenir à un ordre sans assister à la messe catholique? Certains réformés renoncent à l’adoubement, d’autres tel Jean Wormser, sont dispensés d’assister à la liturgie eucharistique. L’appartenance au rite latin n’est pas strictement requise. L’ordre n’est pas réservé aux laïcs, bien qu’ils soient les plus nombreux. Dès le début du XVIe siècle, des ecclésiastiques obtiennent la chevalerie, tel Jean van Scorel, chanoine d’Utrecht, nommé en 1521. Après lui, de nombreux hommes d’Église, pour la plupart des membres du haut clergé, sont reçus dans l’Ordre. La situation sociale a également de l’importance; la chevalerie, sauf quelques cas exceptionnels, est réservée à la noblesse. Les preuves sont demandées dès le XIVe siècle. Les papes ont toujours eu le souci de ne pas dévaloriser l’état de chevalier en abaissant le niveau de recrutement. Urbain VIII le rappelle en 1642. Cependant, au cours du XVIIIe siècle, devant le manque d’intérêt des aristocrates pour un tel engagement, l’accès est ouvert aux roturiers de qualité, la qualité de cœur et les vertus chrétiennes pouvant suppléer au défaut de la noblesse de naissance. Le texte de Benoît XIV ne fait pas mention de la qualité de gentilhomme pour recevoir la chevalerie du Saint-Sépulcre; le candidat est d’ailleurs cru sur l’honneur, aucune preuve ne lui est demandée.
3.3. Les insignes.
A son retour en Europe, le chevalier jouit de plusieurs privilèges consignés par le Custode Boniface de Raguse, en 1553, mais certainement antérieurs. En particulier, il a le droit de porter des habits de soie et de velours, alors très strictement réglementés. Il passe au cou une chaîne ou un ruban noir soutenant la croix potencée cantonnée de quatre croisettes. Le choix de la croix potencée est en lien avec la croix héraldique des rois de Jérusalem. On connaît des exemplaires de cette croix depuis le début du XVIe siècle, en particulier celle qui sert à l’adoubement à Jérusalem, conservée chez les franciscains de la Custodie, et celles conservées dans la collection Neuville. Il faut noter que la croix n’est pas celle que les chanoines portent cousue sur leur habit, qui est une croix à double traverse, aujourd’hui appelée croix de Lorraine. Cette différence d’insigne marque bien la différenciation dès l’origine, des chanoines et des chevaliers.
Le blanc manteau apparaît tardivement; On connaît quelques portraits du XVIe siècle représentant des chevaliers ainsi vêtus, notamment le double portrait d’Antonio Moro conservé au Musée des Beaux-Arts de Berlin. Giovanni Paoli Pesenti dit avoir reçu en 1613, l’habit blanc avec les cinq croix rouges. Le seul manteau blanc timbré de la croix rouge connu est celui du chevalier Jacob Trapp, daté de vers 1561 et conservé au château de Churburg, en Autriche. La couleur blanche du manteau porté par quelques chevaliers du XVIe siècle est à mettre en rapport avec la couleur du linceul.
3.4. Essais de grande-maîtrise, Philippe II et Nevers.
L’ordre dans son désir de structure et de recherche de notoriété, connaît deux essais de grande-maîtrise. Sous l’instigation d’un chevalier flamand, Pierre de Carate, Jules III (1550-1555) approuve, par bulle, la création d’une confrérie espagnole. En mars 1558, plusieurs chevaliers flamands réunis en chapitre décident la transformation de la confrérie en un ordre de chevalerie et demandent au roi d’Espagne, Philippe II d’en assumer la grande maîtrise. Le roi d’Espagne, n’abandonnant pas le projet d’une éventuelle croisade, accepte cet honneur sous réserve de l’approbation du souverain pontife. Paul IV meurt en 1559 avant de donner son accord. Son successeur Pie IV est peu empressé à le satisfaire d’autant que les chevaliers de Saint-Jean y voient une démarche concurrente. Finalement, la transformation escomptée ne se fait pas. Vers 1615, le duc de Nevers, Charles de Gonzague, devenu français par son mariage avec Henriette de Clèves, est sollicité par quatre chevaliers français pour devenir grand-maître de l’Ordre. Étant ambassadeur du roi de France à Rome, il demande à Paul V (1605-1621) une bulle de reconnaissance. Ce prince, qui n’est pas chevalier du Saint-Sépulcre accepte bien rapidement un tel honneur sans que l’on en connaisse la raison mais le Saint-Siège ne répond pas davantage à sa requête d’autant que le jeune Louis XIII, pressé par l’Ordre de Malte, ne soutient pas ce projet.
3.5. Grandeurs et servitudes.
Au début du XVIIe siècle, il faut bien constater une désaffection de la noblesse pour les grands projets pontificaux concernant la Croisade. Le développement du pèlerinage virtuel rend moins indispensable le voyage qui reste dangereux et coûteux. Pour palier cet inconvénient, on institue la chevalerie par procuration dont un cas est avéré dès 1621. Sous Louis XIII, la politique royale en Orient redonne à l’ordre un regain de notoriété. Le traité d’amitié signé au nom du roi par Jean de la Foret avec Soliman ouvre de nouveau la route de Jérusalem, route spirituelle mais aussi route commerciale. Par la suite, les Capitulations accordées par les sultans permettent la libre circulation vers la Terre sainte et le séjour de religieux français auprès des sanctuaires vénérés de Jérusalem et de Bethléem. Le père custode continue de recevoir dans l’Ordre les pèlerins nobles ou de qualité qui en font la demande. Quant à la confrérie parisienne, elle jouit de la protection des rois de France. Louis XIV, par acte formel du 16 mai 1700, veille à sa bonne renommée et au recrutement de ses membres ; en 1700, elle devient archiconfrérie. Louis XV renouvelle la protection royale en 1721 et Benoît XIII approuve les 31 articles de ses statuts renouvelés, » remarquable règlement si complet, si prévoyant, si sage qui fait autant honneur à ceux qui l’ont conçu qu’à la confrérie qui eut la prudence de se l’imposer « . On compte deux catégories de confrères, d’une part, ceux qui ont fait le pèlerinage en Terre sainte, nommés palmiers à cause de la palme qu’ils rapportent de Jérusalem, parmi lesquels se distinguent les chevaliers qui ont été adoubés sur le Saint-Sépulcre et, d’autre part, les confrères de dévotion, qui n’ont pu faire le voyage en Terre sainte mais ne sont pas moins des dévots du tombeau du Christ.
3.6. L’Ordre royal.
En 1769, l’archiconfrérie française se transforme en » Ordre royal et archiconfrérie des Chevaliers, Palmiers, Voyageurs et confrères de dévotion du Saint-Sépulcre de Jérusalem « , sans que l’on sache qui sont les initiateurs de cette mutation. L’Abrégé des règlements, publié en 1771, met l’accent sur le caractère français de l’ordre, tout comme son fondateur supposé Godefroy de Bouillon. Louis XVI n’entérine pas formellement cette transformation mais ne l’interdit pas non plus. En 1776, le dit ordre royal publie ses statuts précédés des deux pseudo-lettres de fondation et d’une liste de chevaliers et suivi d’une importante bibliographie de 122 numéros. En frontispice de l’ouvrage sont gravées deux croix, la croix de l’ordre hospitalier et militaire du Saint-Sépulcre de Jérusalem, et la croix des confrères de dévotion du Saint-Sépulcre de Jérusalem à Paris, illustrant bien les deux catégories de membres. Cette publication entretient volontairement une confusion entre l’archiconfrérie, les chanoines et l’ordre royal en publiant également aux premières pages les ordonnances de fondation et de restauration de l’Ordre hospitalier et militaire du Saint-Sépulcre par Louis VII, vers l’année 1149. Cette mutation est bien symptomatique de la fin du règne de Louis XV et des débuts de celui de Louis XVI. Elle participe d’une double tentation, celle de l’émancipation de la custodie de Terre sainte, si lointaine, et du Saint-Siège, dans un contexte de fort gallicanisme, et celle d’une assimilation à un ordre royal, à une époque marquée par un goût accru pour les croix d’honneur ; ce dont atteste de façon significative la forme même de l’insigne. L’archiconfrérie se maintient jusqu’au 1er août 1791; elle est juridiquement dissoute par le décret du 18 août 1792 qui abolit les ordres religieux.
Les anciens confrères du Saint-Sépulcre ayant survécu à la Révolution n’obtiennent rien de l’administration napoléonienne. Dès le retour des Bourbons, en 1814, deux hommes essaient de redonner vie à l’ancienne fondation, le comte Allemand, grand officier de la Légion d’Honneur et l’abbé Lacombe de Crouzet, ancien supérieur du couvent des Cordeliers. Louis XVIII approuve le nouveau modèle de décoration et le comte d’Artois, futur Charles X, accepte la grande maîtrise de l’ancienne archiconfrérie qui tente de se transformer, comme en 1769, en un ordre de chevalerie que l’on obtiendra non plus en Terre sainte mais à Paris. Une supplique est adressée à Louis XVIII pour fixer le siège à la Sainte-Chapelle ; le roi nomme l’abbé de la Bouillerie commissaire de l’ordre-archiconfrérie. A la suite de dissension entre le comte Allemand et l’abbé Lacombe, une section dissidente se forme, fidèle à Allemand et à son successeur le baron Lainé reçu lui-même chevalier par le Custode en avril 1821. Le siège de cette archiconfrérie se fixe à Saint-Leu-Saint-Gilles.
La création de cet ordre royal du Saint-Sépulcre et, sans doute, le nombre croissant des chevaliers reçus à Paris, plus de 300 de 1814 à 1822, émeuvent le custode de Terre sainte et les chevaliers ayant fait le pèlerinage à Jérusalem. Le 18 mars 1822, le custode Jean-Antoine de Rovigliano proteste et affirme être le seul habilité à conférer l’Ordre du Saint-Sépulcre; Il est appuyé par l’abbé Desmazure, chevalier et aumônier honoraire de l’Ambassade de France à Constantinople et par François-René de Chateaubriand, reçu chevalier à Jérusalem le 10 octobre 1806 et, alors, ministre de Louis XVIII. Les démarches aboutissent à l’interdiction de porter l’insigne de l’ordre royal, par ordonnance royale du 16 avril 1823. On comprend mal ce revirement de la position royale d’autant que Lainé a été reçu chevalier non à Paris, mais par le custode de Terre-Sainte. L’archiconfrérie disparaît en 1827. Les autres ordres royaux hérités de l’ancien régime ne survivent pas à la chute de Charles X.
4. La renaissance de l’Ordre au XIXe siècle.
4. 1. Dans les premières décennies du siècle, l’Europe se tourne de nouveau vers l’Orient. La période romantique pose un regard nouveau sur le moyen-âge. Ce n’est plus la période gothique et barbare méprisée par les hommes des Lumières mais une époque de grandeur, solidement ancrée dans la Foi. La jeunesse européenne dont l’esprit chevaleresque est exalté par les romans de Walter Scott vibre pour l’Orient chrétien, mystérieux et soufrant, écrasé sous le joug ottoman. Chateaubriand narre avec enthousiasme le pèlerinage qu’il effectue en 1806 et donne une description poignante de la réalité sordide de la vie des chrétiens vivants en Terre sainte sous le Turc. Dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, publié en 1811, il décrit son adoubement et l’émotion qui l’étreint lorsqu’il chausse les éperons qu’il croit être ceux de Godefroy de Bouillon et qu’il sent la lame froide de son épée toucher sa nuque. Il se sent français mais surtout, il se veut chrétien. Ses lecteurs seront à leur tour émus, c’est le début de l’ère romantique. Après lui, Lamartine chante dans le Voyage en Orient, la splendeur des paysages bibliques, avec la mélancolie que lui inspire la mort de sa fille Julia. Les peintres ont également une part dans le regain d’intérêt pour cette partie du monde. David Roberts, Luigi Mayer et William Henry Bartlett font revivre sous leurs pinceaux et par les lithographies qu’ils éditent, les lieux et surtout les habitants saisis dans leur sérénité et leur misère.
4. 2. Pie IX dès le début de son pontificat a un grand souci de la Palestine, d’autant que l’empire ottoman commence à vaciller. Alors qu’un évêque anglican est installé à Jérusalem depuis 1842, le pape se rend compte qu’il faut unifier les forces missionnaires au Proche-Orient, jusqu’alors divisées entre diverses congrégations. Le 23 juillet 1847, par le bref Nulla Celebrior, Pie IX rétablit le Patriarcat latin de Jérusalem et nomme patriarche Mgr Giuseppe Valerga (1848-1872). Cette restauration, quelques fois mal comprise, est une prise en compte par l’autorité romaine de l’existence des catholiques de Palestine et le désir d’assurer leur survie. A la lumière de ce qui s’est passé depuis, on prend la mesure de la vision prophétique du bienheureux Pie IX.
Le 10 décembre 1847, une instruction de la sacrée Congrégation de la Propagande précise que la nomination des chevaliers du Saint-Sépulcre concerne désormais le patriarche de Jérusalem. Mgr Valerga avant de prendre possession de son diocèse, commence, selon les instructions papales, par se faire adouber chevalier du Saint-Sépulcre par le Père gardien, Bernardin de Montefranco, jusqu’alors seul représentant du pape en Terre sainte. La cérémonie a lieu le 15 janvier 1848 dans l’église du Saint-Sépulcre. Immédiatement après, le custode lui remet ses pouvoirs. Ce moment historique met fin à une période de plus de cinq siècles, pendant laquelle la Custodie franciscaine a exercé en fait et en droit les pouvoirs du patriarcat. Dès qu’il prend l’ordre en mains, Mgr Valerga songe à le réorganiser sur deux points ; tout d’abord, il demande la division des chevaliers en grades et classes, avec des attributs propres non seulement pour se présenter comme les autres ordres, mais aussi pour pouvoir récompenser ceux qui se seraient signalés par des mérites particuliers. Après des années d’insistance, Pie IX, par la lettre apostolique Cum multa sapienter du 24 janvier 1868, lui donne satisfaction et institue les trois classes demandées, chevaliers, commandeurs et grand-croix. Ensuite le patriarche cherche à obtenir la reconnaissance juridique de l’ordre. A cet effet, il entreprend au cours de l’année 1867 une tournée des principales cours catholiques d’Europe. L’Ordre est ainsi reconnu dès sa refonte par le royaume de Piémont, bientôt d’Italie, l’Autriche et la Belgique. Enfin, il cherche à augmenter le nombres des chevaliers en remplaçant la clause de noblesse requise jusqu’alors par la notion d’appartenance à une élite. Ainsi en moins de 25 ans, Mgr Valerga crée 1417 chevaliers qui sont censés vivre more nobilium. A sa mort, Mgr Vicenzo Bracco, également originaire du diocèse d’Albenga en Ligurie, lui succède. Établi en Terre sainte depuis 1860, il est nommé en 1865 évêque auxiliaire du patriarche qui le sacre dans la basilique du Saint-Sépulcre. Sous son administration, l’Ordre s’accroît de 1116 chevaliers et de 100 dames. A sa mort, il est représenté dans neuf pays : Allemagne, Autriche, Brésil, Canada, Espagne, France, Italie, Uruguay et Venezuela. Le troisième patriarche Luigi Piavi, (1889-1905) crée 1053 chevaliers et 166 dames. A sa mort, trois nouveaux pays sont représentés au sein de l’Ordre, le Portugal, Malte et le Royaume-Uni.
4.3. La question de l’admission des femmes au sein de l’Ordre se pose très rapidement avec la demande de lady Mary Frances Lomax qui exprime avec beaucoup d’insistance le désir d’en devenir dame, ce qui est une très grande nouveauté, presque révolutionnaire, dans la société du XIXe siècle, les états n’admettant des femmes dans les ordres de chevalerie ou de mérite qu’à titre exceptionnel. Un cartulaire du Saint-Sépulcre, publié à Paris en 1849, cite déjà des noms de dames. Se fondant sur ces données, le patriarche obtient de Pie IX en 1871, l’autorisation d’accepter la noble dame anglaise dans l’Ordre. Fort de ce précédent, le deuxième patriarche, Mgr Bracco, en accepte une centaine entre 1873 et 1889. Désirant toutefois une confirmation écrite pour une telle faculté, il soumit la question à Léon XIII qui par le bref Venerabilis frater du 3 août 1888 approuve la réception des dames dans l’Ordre.
5. L’ordre pontifical au XXe siècle.
5.1. La mort du patriarche Piavi, en janvier 1905 est suivie d’une longue vacance, le nouveau patriarche Filippo Camassei n’étant nommé qu’en décembre 1906. Pour consolider la position de l’Ordre en Terre sainte, Pie X se réserve pour lui et ses successeurs la charge de grand-maître par la lettre apostolique Quam multa et accorde aux chevaliers une place dans les chapelles papales (13 octobre 1908) tandis que le patriarche est désigné comme Recteur et administrateur perpétuel de l’Ordre. Le premier conflit mondial limite très sévèrement l’expansion de l’Ordre, d’autant que le patriarche est retenu par les Turcs, en résidence surveillée à Nazareth, en 1917. Après la guerre, le nouveau patriarche Luigi Barlassina (1920-1947) réorganise son diocèse et l’Ordre. En de nombreux voyages, il confirme ou rétablit les anciennes lieutenances et en fonde de nouvelles aux États-Unis, à Cuba, en Tchécoslovaquie et en Hongrie. Encouragé par Benoît XV, il fonde l’œuvre de la préservation de la Foi en Palestine. Pie XI restitue au patriarche ses prérogatives par la lettre apostolique du 6 janvier 1928 et confie à l’Ordre l’œuvre de la préservation de la Foi en Palestine. A la suite de la controverse protocolaire surgie entre l’Ordre de Malte et celui du Saint-Sépulcre, l’Ordre est désigné comme Ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem tandis que la dignité de grand-maître, restaurée par Pie X, se trouve abolie et que les baillis représentants le patriarche sont désormais appelés Lieutenants avec le prédicat d’Excellence. Un décret de la Congrégation du Cérémonial du 5 août 1931 approuve les nouveaux statuts présentés par le patriarche.
5.2. En juillet 1940, Pie XII institue un protecteur de l’Ordre en la personne du cardinal Canali, dont le rôle se développe d’autant plus que le second conflit mondial paralyse l’action du patriarche. La grande maîtrise est restaurée le 14 septembre 1949 par le bref Quam Romani Pontifices au profit du même cardinal. De nouveaux statuts sont rédigés et promulgués, aux termes desquels l’Ordre, placé sous la protection du Saint-Siège, jouit de la personnalité juridique et est dévolu à un cardinal grand-maître nommé par le souverain pontife. La visibilité de l’Ordre à Rome se manifeste par l’établissement de son siège ecclésial en l’église de San Onofrio concédée par motu proprio le 15 août 1945 et par l’affectation du palais della Rovere, situé près du Vatican, qui devient le siège du grand magistère, définitivement établi à Rome ; Jérusalem demeurant le siège historique. L’Ordre est considéré par le droit canonique comme une Association de Laïcs dans l’Église.
Le cardinal grand-maître est aidé par quinze dignitaires formant le grand magistère et se réunissant périodiquement. Dans chaque pays où l’ordre est représenté, existent une ou plusieurs lieutenances, dirigées par un lieutenant. L’ordre compte actuellement (2003) 32 lieutenances qui regroupent plus de 20 000 membres. Une assemblée extraordinaire, la Consulta, à laquelle participent les membres du Grand magistère et les lieutenants, se réunit en principe tous les quatre ans. C’est l’occasion pour le grand maître de donner des directives aux lieutenants et d’assurer ainsi la cohésion de l’action de l’Ordre.
La lieutenance de France compte plus de 600 membres, ecclésiastiques et laïcs des deux sexes groupés en commanderies et en région. L’église capitulaire est demeurée celle de Saint-Leu-Saint-Gilles, cependant les cérémonies d’adoubement et de réception ont lieu à Saint-Louis des Invalides, à Paris ou dans une grande ville de France. En 1930, une Compagnie d’écuyers du Saint-Sépulcre est fondée à Paris par le baron de Lormais, avec l’approbation du patriarche Barlassina, dans le but de donner à la jeunesse un idéal chevaleresque et missionnaire. Cette compagnie, pépinière de chevaliers n’a pas survécu aux turbulences de la guerre. Toutefois, cette expérience se renouvelle à Paris ad experimentum depuis 1999.
6. L’adoubement, engagement du chevalier
6.1. L’adoubement médiéval.
Le signe de l’adoubement est très fort au Moyen-âge. La chevalerie n’est pas héréditaire comme la noblesse, elle doit se mériter. Elle est reçue par choix personnel comme un honneur et un engagement. Le vocable adoubement est significatif. Si l’on a longtemps pensé comme Du Cange que le mot avait été formé à partir du verbe latin adoptare, qui signifie adopter par parrainage, les médiévistes penchent aujourd’hui plutôt pour une origine germanique du verbe dubban qui signifie frapper.
La chevalerie est reçue au cours d’une cérémonie par la réception des armes, l’épée et les éperons. Cette tradition de l’épée est hautement symbolique. Le jeune noble, comme auparavant le fils du roi, reçoit par-là une parcelle du pouvoir. L’épée est remise au nouveau chevalier qui la ceint autour des reins. Au Xe siècle, s’effectue la bénédiction de l’épée. Au XIe siècle, un rituel liturgique se met en place doublant le rituel militaire. L’Église, utilisant la symbolique pour asseoir sa pastorale, voit dans la christianisation de cette pratique, une manière d’orienter la mission du chevalier selon la loi chrétienne et de l’engager dans la défense de l’Église et des plus démunis. A la fin du XIIIe siècle, l’évêque de Mende Guillaume Durand fixe par écrit les diverses cérémonies conduites par l’évêque. Il note dans son livre appelé pontifical, les textes canoniques pour la réception d’un chevalier. Dès le XIVe siècle, la Curie romaine utilise ces textes.
6. 2. Se faire adouber sur le Tombeau du Christ.
Cette pratique singulière dans la chevalerie relève d’un très fort désir de servir Dieu. La chevalerie du Saint-Sépulcre dans l’esprit de ceux qui en font la demande, est supérieure à tout autre. Aux XIIe et XIIIe siècles, la chevalerie est conférée par n’importe quel chevalier présent. Puis, les nobles qui font le pèlerinage dans le but de recevoir cette chevalerie prennent le soin de se faire accompagner par un chevalier. On connaît ainsi des exemples de chevaliers de Saint-Jean requis à Rhodes pour cette fonction. Dans les vingt dernières années du XVe siècle, la collation de la chevalerie du Saint-Sépulcre est assurée par Jean de Prusse. A sa mort, vers 1498, l’ordre est conféré par le custode de Terre sainte, gardien du Saint-Sépulcre. Les premières lettres de chevaliers connues, délivrées par le gardien datent de 1505. Le registre matricule qui, à Jérusalem, conserve les noms des chevaliers débute en 1561, avec quelques lacunes dans les premières années.
Au XVe siècle, le rituel d’adoubement s’affine et les rubriques du cérémonial se développent. L’adoubement se déroule lors de la dernière nuit passée dans la basilique ; c’est l’acte qui parachève le pèlerinage et lui donne toute sa force. Les candidats se préparent en se confessant et en écoutant la messe au cours de laquelle ils communient. La cérémonie débute après minuit, à l’issue du chant des matines. Elle se déroule en deux temps, d’abord dans la chapelle de l’ange, puis dans la chambre sépulcrale. Trois personnes sont présentes dans ce lieu exigu, le futur chevalier, le père gardien et un frère franciscain qui peut servir d’interprète. La cérémonie garde une intimité recueillie d’autant qu’en théorie, elle reste interdite par l’autorité ottomane.
6.3. Le cérémonial médiéval traverse les siècles sans changement. A chaque adoubement le père gardien rappelle la grandeur de la chevalerie reçue auprès du Tombeau. Jean Zuallart, adoubé en 1585, rapporte l’homélie du vénérable franciscain et sa définition de la chevalerie. » L’ordre est le même que celui autrefois conféré aux Templiers, mais ils ne procurent pas comme à eux les richesses temporelles; les nobles le méritent par le fait de leur pèlerinage, les roturiers sont devenus capables d’être anoblis grâce aux périls affrontés, aux dépenses et à la fatigue d’un tel pèlerinage « . Cette chevalerie est distincte de la chevalerie temporelle, elle conduit le chevalier » à vivre plus spirituellement que temporellement « , elle est conférée en vertu du pouvoir spirituel du pape. La chevalerie du Saint-Sépulcre au contraire de la chevalerie temporelle se confère dans le secret, la simplicité et l’humilité et non pas en présence des grands et au milieu des fêtes. Le père gardien conclut en exhortant les nouveaux chevaliers à » rejeter les œuvres des ténèbres, à endosser les armes de lumière et le spectre de justice, le bouclier de la foi, le heaume du salut et le glaive de l’Esprit « . Pie IX maintient le rituel d’adoubement lors de la restauration de l’Ordre, en 1848. Depuis le début du XIXe siècle, la cérémonie a lieu non plus dans la chambre sépulcrale, réservé à l’Église grecque, mais dans la chapelle de la Vierge, dite de l’Apparition, dont les franciscains ont gardé l’usage. Le père custode, officie pontificalement comme son statut lui en donne le droit, avec la mitre et la crosse. Un diacre porte la vénérable épée si chère à Chateaubriand, les éperons d’or, la croix suspendue à une chaîne d’or et les dépose sur l’autel du Saint-Sépulcre. Après 1848, c’est le patriarche qui officie.
6.4. L’Ordre du Saint-Sépulcre est le seul ordre à pratiquer l’adoubement liturgique. Le caractère unique de ce cérémonial confère à chaque objet utilisé, l’épée, la croix, le manteau, une signification spirituelle et symbolique incomparable.
L’épée est indissociable de l’idéal chevaleresque. A l’aube de la chevalerie, c’est l’épée remise par le père ou le chef au jeune guerrier qui marque son élévation au rang d’homme digne de se battre. L’Église n’a pas voulu effacer ce symbole puissant, patiemment elle l’a intégré au rituel, donnant à l’épée une force mystique et la transformant en glaive de justice.
La croix rouge potencée cantonnée de quatre croisettes est définitivement établie comme l’insigne de l’Ordre au XVIe siècle. Son symbolisme est expressif. La croix même est l’instrument du supplice par lequel le salut est rendu possible. La couleur rouge, couleur des martyrs évoque le sang ; le nombre cinq, les plaies du Christ. La croix portée sur le côté gauche exprime en un raccourci magistral la passion du Sauveur et la préoccupation première des chevaliers.
Le manteau de laine blanche marqué de la croix rouge sur le côté gauche est connu et porté depuis le XVIe siècle. Il couvre entièrement le corps. Facultatif jusque là, il fait partie du costume depuis 1907 et se porte sur l’uniforme qu’il complète et masque à la fois. Ce manteau est un signe d’appartenance mais, par symbolique, il dépasse ce simple signe. Comme la croix, il est béni la veille de l’adoubement ; ce n’est plus une étoffe taillée préservant du froid ou marquant l’appartenance à un groupe mais un vêtement quasi liturgique. Ce symbolisme liturgique trouve son fondement dans l’ancien Testament où l’importance du manteau est plusieurs fois soulignée. Lorsque Élie est élevé aux cieux sur le char de feu, il laisse son manteau à Élisée, lui conférant ainsi ses pouvoirs de thaumaturge. Par ce geste, Élie prend possession d’Élisée et l’investit de sa puissance. De même Isaïe proclame » Yahvé m’a revêtu d’une robe et d’un manteau qui est sa justice tout comme la fiancée met ses bijoux » (61, 10), tandis que Ruth (3,9) annonce » étend sur ta servante le pan de ton manteau, tu as sur moi droit de rachat » et qu’Ézéchiel (16,8) reprend » j’étendis sur toi le pan de mon manteau, je m’engage par serment et je fais pacte avec toi « . En revêtant son manteau, le chevalier du Saint-Sépulcre affirme son appartenance à Dieu et son engagement à servir son Église et ses ministres.
On a comparé l’adoubement liturgique à la réception d’un sacrement, ce qui est erroné. On peut en revanche parler de sacramental, puisque les armes sont bénies. L’adoubement liturgique concrétise le nouvel état du chevalier dans l’échelle sociale. Il reçoit un sacramental qui lui confère un statut juridique et règle ses droits et ses devoirs de façon spécifique.
7. Aujourd’hui, l’Ordre au service des chrétientés de Terre sainte.
La mission de l’Ordre est définie par le souverain pontife. Ses membres s’engagent à soutenir matériellement et spirituellement les chrétiens de Terre sainte et les œuvres du patriarcat latin de Jérusalem. Il convient de ne pas oublier la présence en Palestine d’importantes communautés chrétiennes depuis les premiers temps du christianisme et sans discontinuer jusqu’à nos jours. Aujourd’hui, les populations catholiques arabophones se trouvent souvent en état de discrimination. L’accès aux études universitaires ne leur est pas facilité. De ce fait, on assiste à un véritable exode de nombreux membres de ces communautés qui se trouvent ainsi affaiblies et incapables de se suffire à elles-mêmes. Aussi appartient-il à l’ordre de leur apporter sa contribution et son appui pour que, comme le précise le pape Paul VI, » la présence des disciples du Christ soit mieux affirmée autour des sanctuaires « . C’est dans cet esprit que les membres de l’Ordre visitent les communautés chrétiennes en Terre sainte, participent aux cérémonies religieuses et prient avec leurs membres afin de leur apporter un soutien moral qui les aide à se maintenir dans leur foi. L’Ordre soutient également la formation d’un clergé local par l’adoption de séminaristes.
La coexistence en Palestine des représentants des trois religions monothéistes, à côté des luttes et des déchirements qu’elle engendre, suscite ainsi des rapprochements généreux qui pourraient être le point de départ d’une espérance de concorde et de paix symbolisée selon l’heureuse expression du R. P. Riquet par » cette fraternité d’Abraham où se retrouvent juifs, chrétiens et musulmans résolus à se comprendre et à s’entraider « . Les derniers statuts approuvés par Paul VI, le 8 juillet 1977, confirment cette mission.
Jean-Paul II, confirmant la pensée de Paul VI, dit aux membres du grand magistère, le 15 mai 1986 : » Continuez à vénérer la terre sanctifiée par les patriarches, les prophètes, par les pas du Fils de Dieu qui s’est fait Fils de l’Homme, par les apôtres, en vous montrant toujours fidèles à l’esprit de vos statuts. Ils vous incitent à prendre soin de la conservation et de la propagation de la foi en Terre sainte et à promouvoir les institutions cultuelles, caritatives, culturelles et sociales ainsi qu’à soutenir les droits de l’Église en Palestine. Les actes de charité véritable pratiquée envers les communautés chrétiennes qui vivent là-bas leur identité dans le sacrifice sont dignes d’une particulière reconnaissance « .
L’Ordre a pour objet de financer, en toute priorité, le diocèse patriarcal latin de Jérusalem. Celui-ci compte 72.000 fidèles répartis dans une soixantaine de paroisses situées dans l’État d’Israël, sur les territoires de Cisjordanie et de Gaza, dans le Royaume Hachémite de Jordanie et en République de Chypre. Le clergé compte un patriarche, deux évêques, quatre-vingt prêtres auxquels s’ajoute la congrégation palestinienne des Sœurs du Saint Rosaire forte d’une centaine de religieuses. En plus du grand séminaire de Beit Jala accueillant une soixantaine d’étudiants, le patriarcat latin compte des jardins d’enfants, des dispensaires et des maisons pour personnes âgées et handicapées. C’est sur cet ensemble que l’Ordre est appelé à intervenir, en particulier pour l’entretien et le développement de tout le réseau éducatif. Président de la Conférence des Évêques latins des régions arabes (CELRA), le patriarche joue un rôle important au proche orient tout en appartenant au Synode des évêques, organe de l’Église universelle.
Bernard Berthod & Joël Bouessée