La Lorraine a toujours fasciné et son nom, à la fois doux et grave, recouvre une histoire d’une extraordinaire densité. La Lorraine a eu ses grandes heures, que ce soit le départ de Vaucouleurs de Jeanne d’Arc, la bonne Lorraine, pour remplir sa mission céleste, la mort du Téméraire sous les murs de Nancy, la fortune et l’infortune des ducs de Guise, les misères de la guerre de Trente Ans, les sièges et la destruction de la ville de La Mothe, l’occupation française à Nancy, l’épopée du duc en exil Charles V, vainqueur des Turcs, les fastes de la Cour de Lunéville, sous le duc Léopold, ou le règne du Roi Stanislas, le Bienfaisant. La Lorraine, évoque également des moments forts de notre histoire nationale : la Lorraine annexée, pleurée avec sa sœur l’Alsace, Verdun où » ils n’ont pas passé « , la ligne Maginot, où l’héroïsme a fait place au tragique. C’est enfin des symboles, comme la basilique de Saint-Nicolas-de-Port, la colline inspirée ou la croix de Lorraine. Mais, au-del à de ces images, l’histoire de la Lorraine pourrait être incomprise si elle n’était vue que comme celle d’une province et si, en quelque sorte, elle n’était considérée que comme une particularité ou un avatar de l’histoire de France. Ce serait toutefois méconnaître la réalité profonde de cet espace historique, composé de multiples entités qui eurent leur histoire particulière et qui n’étaient pas encore toutes françaises à la veille de la Révolution. Il s’agit d’abord des cités et des évêchés de Metz, Toul et Verdun, occupés dès 1552 et rattachés en droit à la France en 1648. C’est également le Clermontois, cédé au Roi en 1632, la partie du Luxembourg annexée par Louis XIV en 1659, le petit comté de Ligny, en plein cœur du Barrois, possession des comtes de Luxembourg, revenu au duc en 1719, et la principauté de Commercy où vécut, de 1737 à 1744, la dernière Cour lorraine auprès de Madame Royale, veuve du duc Léopold. C’est encore, et surtout, les duchés de Lorraine et de Bar, distincts et rivaux avant d’être placés sous le même duc, au temps du roi René d’Anjou, qui ont constitué des Etats indépendants et souverains jusqu’ à ce que le duc François III soit contraint à les céder au roi de Pologne détrôné Stanislas en 1737. C’est enfin la principauté de Salm, les comtés de Sarrewerden et de Créhange, incorporés à la France par la Convention en 1793, et la petite seigneurie de Lixing, rattachée en 1795. On le voit, cet espace historique lorrain dépasse les limites de l’actuelle Région Lorraine car y sont notamment inclus le Bassigny, les pays de la Sarre appartenant autrefois au bailliage d’Allemagne et les cantons aujourd’hui alsaciens de Sarre-Union et de Drulingen. Si la définition de la Lorraine n’est pas aisée, il en est de même pour l’Empire.
Le terme d’Empire, pris ici dans un sens générique, désigne d’abord le Saint Empire romain germanique dont les Habsbourg portèrent la couronne de 1440 à 1806, à l’exception d’une brève période, de 1740 à 1745. Il désigne ensuite l’empire d’Autriche,établi en 1804, avant que ne soit formellement supprimé le Saint Empire. Il désigne enfin la double monarchie austro-hongroise, instaurée par le compromis de 1867. En fait, par Empire, il faut entendre toutes les possessions héréditaires des Habsbourg, qu’elles soient incluses ou non dans les limites du Saint Empire et, après l’abdication de Charles Quint, en 1556, celles restées sous le contrôle de la maison d’Autriche. Sont donc exclus l’Espagne, les Pays-Bas pendant l’époque de la domination espagnole (1558-1714) et la Franche-Comté. En revanche, sont inclus la Hongrie, dont les Habsbourg furent rois de 1526 à 1918, et les duchés et royaumes italiens restés un temps en leur possession. A l’avènement de Marie-Thérèse, en 1740, ces territoires étaient traditionnellement répartis entre les pays » allemands » et les pays » hongrois « , ce qui reflète le fait que la Hongrie a toujours été un royaume séparé. Les véritables pays allemandsétaient l’Autriche proprement dite, c’est- à-dire l’archi duché d’Autriche, le comté du Tyrol et l’évêché de Trente, ainsi que les provinces situées au sud et à l’est du Tyrol, Carinthie, Styrie et Carniole, s’étendant jusqu’ à Trieste, sur l’Adriatique. Ils comprenaient également les enclaves occidentales, l’Autriche antérieure, dont la partie principaleétait le Brisgau et les possessions situées sur la rive droite du Rhin acquises dès la fin du treizième siècle et, depuis 1368, la ville et le comté de Fribourg. Au nord de l’Autriche se trouvaient le royaume de Bohême, dont les Habsbourg avaient été investis en octobre 1526, et ses territoires dépendants, le margraviat de Moravie et le duché de Silésie, ce dernier perdu en 1742. Parmi les pays allemands figuraient également les possessions lombardes, l’archiduché de Milan, et les duchés de Parme, de Mantoue et de Plaisance, ainsi que le grand-duché de Toscane, acquis en 1736 par le duc de Lorraine François III. Au plus loin vers l’ouest s’étendaient les Pays-Bas autrichiens, couvrant approximativement les territoires de la Belgique et du Luxembourg actuels. La plus importante possession des Habsbourgétait le royaume de Hongrie, vaste territoire prolongé par la Transylvanie, ou grand-duché de Siebenbürgen. La dernière acquisition était le Banat de Temeswar conquis sur les Turcs par le prince Eugène de Savoie en 1716, officiellement indépendant de la Hongrie jusqu’en 1779. En 1740, les Habsbourg avaient déj à perdu le contrôle de la petite Valachie (1718-1739), de la Serbie du nord (1718-1739), du royaume de Naples (1714-1735), du royaume de Sardaigne (1714-1720) et du royaume de Sicile (1720-1735). Leurs possessions s’agrandirent par la suite avec le royaume de Galicie et Lodomérie (1772), la Galicie occidentale (1775), le duché de Bucovine (1775), le quartier de l’Inn (1779) et la principauté de Salzbourg (1806). En Italie, ils acquirent la Dalmatie (1797), la Vénétie (1797), puis, après le congrès de Vienne en 1815, ils reprirent possession de la Lombardie, de la Vénétie, du duché de Parme, du duché de Modène et du grand-duché de Toscane. Ces territoires italiens furent définitivement perdus en 1847 (Parme), 1859 (Lombardie), 1860 (Modène, Toscane) et 1866 (Vénétie). Les combats contre l’empire ottoman leurs donnèrent enfin le contrôle du Sandjak de Novi Bazar (1878) et de la Bosnie-Herzégovine, d’abord occupée en 1878 puis annexée en 1908, où l’attentat contre l’archiduc héritier François-Ferdinand, le 28 juin 1914, sonna le glas du vénérable empire.
Dans tous ces territoires, de la Flandre à la Sicile, du Brisgau à la Transylvanie, de la Bucovine à la Bosnie, des Lorrains servirent, vécurent et moururent, passèrent ou se fixèrent. Evoquer les circonstances de leur engagement pour l’Empire, c’est décrire à grands traits l’histoire de la Lorraine et celle de l’Europe.
La Lorraine entre la France et l’Empire : de l’engagement à l’exil
Sans remonter plus loin que l’avènement de Charles Quint (1519), on se rappelle les liens organiques qui existent entre la Lorraine et l’Empire puis la prudente neutralité qu’a su maintenir le duc Antoine entre le Roi et l’Empereur. Princes fastueux, Roi et Empereur recherchent les talents ; des Lorrains vont vers l’un ou vers l’autre. Du côté de l’Empereur, on citera pour l’exemple le messin Monet, » artiste de Charles Quint « , ou les Naves, prévôts » ambédeux » de Marville, le terme est de Jeantin, dépendant à la fois du duché de Bar et du Luxembourg. Successeurs du duc Antoine, les ducs Charles III et Henri II sont plutôt tournés vers la France mais les guerres de religion comme la difficile gestation de la monarchie absolue entraînent le déclin, l’échec puis l’élimination du parti lorrain, illustré par les Guise. Au cours d’une période d’accalmie, de 1599 à 1604, des gentilshommes lorrains vont chercher la gloire en Hongrie, comme le duc de Mercœur, Bassompierre, Bayer de Boppart, Galéan et Vaubecourt. Plus tard, c’est dans les rangs de la Ligue catholique que des Lorrains servent l’Empereur et participent à la bataille de la Montagne blanche, le 8 novembre 1618. Lors de l’avènement du duc Charles IV, en 1624, l’hostilité et les visées de Richelieu se révèlent au grand jour. L’entrée de la France dans la guerre de Trente Ans consacre alors la rupture et marque le basculement politique des duchés dans le parti de l’Europe impériale et catholique. Il serait fastidieux de retracer ici tous les aléas du règne de l’infortuné duc Charles IV qui vit l’occupation militaire des duchés et l’exil de ses princes. Mais, pendant plus de soixante ans, la Lorraine subsiste, à Bruxelles, à Florence, à Innsbruck ou à Vienne. L’armée ducale connaît les mêmes péripéties et de nombreux officiers ne pouvant plus servir le duc, passent dans l’armée impériale : Allamont, Bannerot, Bassompierre, Briey, Chauvirey, Cliquot, Custine, des Fours, du Hautoy, Fournier, Haraucourt, Hennin, Hunolstein, Ligniville, Mercy, Mitry, Montrichier, Mus, Nettancourt, Raigecourt, Salm, Serainchamps, Stainville, Vyard … Le duc Nicolas-François, frère de Charles IV, s’échappe de Nancy en 1634 et, après Florence, trouve asile à Vienne où il assure la continuité de la dynastie. Le futur duc Charles V naît dans cette ville en 1643. Il ne régnera jamais sur ses duchés. Généralissime des armées impériales, sa vie est consacrée à la défense de l’Empire et à la vaine reconquête de ses duchés. Mais ses plus grands succès militaires sont en Hongrie. De la libération de Vienne (1683) à la prise de Belgrade (1688), les Lorrains affluent dans les rangs de l’armée impériale. Ils constituent des régiments entiers, commandés par des princes de la maison de Lorraine. A la mort du duc Charles V, ils continuent à combattre sous le prince Eugène de Savoie et, en septembre 1696, le duc Léopold, âgé de dix-sept ans, est au milieu d’eux, à la bataille de Temesvér. De 1634 à 1697, la légitimité lorraine est maintenue. Gouverneurs des enfants ducaux, domestiques, chambellans, gardes du corps, conseillers, secrétaires d’Etat, ministres et peintres forment une Cour et un gouvernement autour des ducs Nicolas-François, Charles V et Léopold, jusqu’au Traité de Ryswick (1697) qui restitue ses Etats à ce dernier. Citons quelques noms : Bassompierre, Montrichier, Hennequin, Beauvau, Stainville, Canon, Le Bègue, des Armoises, Simonaire, Herbel. Des étrangers s’attachent aux princes en exil et suivent le duc Léopold en Lorraine : Carlinford, Sauter de Menthfeld, Ferraris, Lunati-Visconti, Marsanne, Molitoris, Camerlander, Hoffmann, Horvath, Köröskeny, Trager … A l’inverse, des Lorrains restent en Empire où se perpétue leur lignée : des Fours, Huyn, Tige.
La Lorraine retrouvée
Le retour à Nancy du jeune duc Léopold est un triomphe. Deux ans plus tard, en 1700, les cendres du duc Charles V sont ramenées d’Innsbruck et déposées dans la chapelle ronde de l’église des Cordeliers. La Lorraine est retrouvée et le règne du duc Léopold marque une véritable renaissance. La Cour de Lunéville, l’académie des jeunes nobles, la faculté de médecine, l’académie de peinture et de sculpture, la Cour Souveraine, la Chambre des Comptes, le Conseil d’Etat, rétablis ou fondés, contribuent à raviver la fierté des Lorrains et à leur inspirer un fort sentiment d’appartenance à une nation. Mais le rétablissement de la souveraineté du duc de Lorraine et de Bar ne met pas fin à la nécessité d’un engagement politique clair. L’armée du Roi est à Metz, à Toul, à Verdun et à Nancy alors qu’en dehors de sa maison militaire et de l’éphémère régiment du Han, le duc n’a pas de troupes. Si, par son mariage, Léopold est le neveu du Roi-Soleil, il est également neveu de l’empereur Joseph Ier et son cœur penche pour Vienne. Versailles et Lunéville se disputent les talents et les services mais, pour de nombreux Lorrains, la fidélité s’exprime par le dévouement à la famille ducale et l’engagement dans les armées impériales. Le duc Léopold encourage d’ailleurs le service de l’Empire pour lequel les occasions de se battre ne manquent pas. C’est la grande épopée du prince Eugène de Savoie au cours de la guerre de la Succession d’Espagne (1701-1714), de la répression des troubles en Hongrie (1703-1711) et des campagnes contre les Turcs (1716-1718). Dans l’armée impériale, des régiments ont pour noms Herbéviller, Sainte-Croix, Lorraine-Commercy, Lorraine-Vaudémont, Joseph-Innocent de Lorraine, Stainville, Charles-Joseph de Lorraine, Mercy, du Han, du Hautois, Vyard, Tige, Gondrecourt, Charles-Alexandre de Lorraine, Léopold-Clément de Lorraine, François de Lorraine, Ligniville … Les princes lorrains donnent l’exemple et paient le tribut du sang : Charles-François de Lorraine-Commercy tombe à Luzarra (1702), Charles-Thomas de Lorraine-Vaudémont, petit-fils du duc Charles IV, à Ostiglia (1704), Joseph-Innocent de Lorraine, frère du duc Léopold, à Cassano (1705). Des Lorrains combattent sur tous les champs de bataille de l’Empire. A leur retour en Lorraine, les officiers sont confirmés dans les grades et titres conférés par l’Empereur, dotés de fiefs, créés chambellans ducaux et admis dans les chevau-légers de la gendarmerie ducale. Au cours du règne de Léopold, d’autres Lorrains se fixent dans l’Empire et yétablissent leur famille, comme les Callot, Gorcey, Gourcy, Lavaulx de Vrécourt, Joly de la Motte, Marcant, Cuny-Pierron. L’attrait de l’Empire devient irrésistible et, tout naturellement, le prince François-Etienne, devenu héritier présomptif après le décès de son frère Léopold-Clément, est envoyé à la Cour de Vienne en 1723 pour parfaire sonéducation. Il n’en revient qu’en 1729, à la mort du duc Léopold auquel il succède. Deux ans plus tard, laissant ses duchés sous la régence de sa mère, il repart pour Vienne où déj à, on prépare son mariage avec l’archiduchesse Marie-Thérèse. Cette union est célébrée en 1736, alors que se termine la guerre de la Succession de Pologne. Le troisième traité de Vienne de 1737 instaure un nouvel équilibre en Europe. La cession des duchés, imposée au duc François III, est la clef de voûte de cette délicate construction politique. Ainsi, la Lorraine et le Barrois sont le prix à payer pour une paix en Europe qui ne durera que trois ans !
La Lorraine dispersée
Les duchés ont un nouveau souverain, le roi Stanislas, qui, on le sait, n’est duc qu’ à titre viager avant leur rattachement formel à la France. Mais la Lorraine historique survit autour des princes et des princesses de sa dynastie, à Commercy, à Florence, à Vienne, à Bruxelles ou à Mons. A Commercy, tout d’abord, où Madame Royale, la duchesse douairière Elisabeth-Thérèse d’Orléans, s’est retirée, avec bien des cris et des pleurs, la petite principauté a tous les attributs d’un Etat souverain : Cour, gouvernement, Conseil d’Etat et Cour de justice. La princesse Anne-Charlotte, élue abbesse de Remiremont, y a également sa maison. Avec ses écuyers, chambellans, dames de compagnie, demoiselles d’honneur, gardes du corps, médecins, confesseurs, secrétaires, intendants, architectes, peintres, maîtres d’hôtel, valets, cuisiniers, jardiniers et équipages, l’ancien château du prince de Vaudémont revit à l’heure de Lunéville. Après la mort de la duchesse, le 23 décembre 1744, ses fidèles partent rejoindre le grand-duc à Vienne ou passent au service du prince Charles-Alexandre à Bruxelles : d’Aboville, Baillot, Béjot, Belrupt-Tissac, Bertrand, Bridart dit Brillon, Castellan, Chedville, Deuzan, du Han, Guillemin, Jeanbourg, La Marine, Ligniville, Louvain des Fontaines, Perroti, Poirot, Riboulet, Roger, Royer, Toussaint …
Dès 1737, l’ancien duc François III prend possession du grand-duché de Toscane et y transfère sa Cour. Mais il n’y fait qu’un bref séjour, la maladie de l’Empereur Charles VI le rappelant à Vienne. Le marquis de Beauvau-Craon, son représentant, préside le Conseil de Régence et le comte de Nay-Richecourt dirige de main de fer une administration lorraine, pendant vingt ans. L’élite des anciens duchés se retrouve à Florence car » suivre » est considéré comme un devoir et un honneur. La maison militaire est arrivée avec le marquis du Châtelet, une académie est créée sur le modèle de celle de Lunéville ; les artistes, les lettrés et les scientifiques s’y retrouvent ; secrétaires, conseillers d’Etat, maîtres des comptes, trésoriers et juristes déploient tout leur zèle. Certains, d’abord restés, sont obligés de fuir la Lorraine pour avoir osé résister à l’autorité française. En Toscane se retrouvent des membres de la chevalerie : Beauvau-Craon, des Armoises, du Châtelet, Ligniville, la Tour-en-Woëvre ; des officiers : Mesnil, Harmand, Lamezan-Salins, O’Kelly, Ruiz, Vincent, Warren ; des grands commis : Nay-Richecourt, Thierry, Abram, Bagard de Bettanges, Gilles, Richard ; des artistes : Chamant, Chéron, Germain, Gervais, Girardet, Jadot ; le médecin et pharmacien Mesny ; des savants et desérudits : Baillou, Genneté, Jamerai-Duval, Vayringe. La tentative de peuplement de la Maremme de Massa est un échec mais l’administration du grand-duché est rigoureuse, l’économie est développée et les arts sont florissants. Toutefois, la vie en Toscane devient difficile. Les Lorrains, qui souffrent déj à d’être éloignés de leur patrie, regrettent d’être séparés de leur prince,établi à Vienne. Ils sont souvent mal accueillis par les Toscans sur lesquels le gouvernement lorrain a peu de prise. De plus en plus, les Lorrains de Toscane apparaissent comme une colonie où les soucis familiaux et financiers, comme le cloisonnement, créent une atmosphère pesante. Beaucoup espèrent être appelés à Vienne ; d’autres demandent à repartir pour la Lorraine. Déj à, le grand-duc devenu empereur a fait venir près de lui les savants et les artistes. En 1757, aux débuts de la guerre de Sept Ans, l’administration du grand-duché est abandonnée aux Toscans et les derniers Lorrains quittent Florence. Des Baillou et des La Tour-en-Woëvre font toutefois souche en Italie.
Après son mariage et la cession des duchés, le duc François-Etienne n’est plus à titre personnel que grand-duc de Toscane, duc de Teschen et comte de Falkenstein. A la mort de l’empereur Charles VI, Marie-Thérèse, qui est couronnée reine de Hongrie et » roi » de Bohême, est l’unique héritière des biens patrimoniaux de la maison d’Autriche et François-Etienne en est seulement le co-régent. Lorsqu’il est élu puis sacré empereur en 1745, son épouse Marie-Thérèse est appelée Impératrice-Reine, mais François-Etienne n’en est pas plus associé au gouvernement des possessions habsbourgeoises. Entouré de ses conseillers et secrétaires privés, Jacquemin, Toussaint, Molitoris, Pfütschner, il gère ses biens personnels et cultive les arts et les sciences avec son entourage lorrain. C’est un véritable mécène qui fait venir à lui tout ce que la Lorraine compte de talents. Aux Lorrains venus à l’époque de son éducation à la Cour de Vienne, se joignent ceux qui l’y ont rejoint en 1737, ceux rappelés de Toscane et ceux qui y sont sans cesse attirés. Marie-Thérèse, qui aime profondément son impérial époux, accueille favorablement ces Lorrains qui introduisent et développent la culture française. A ceux qui ont déjà été cités, ajoutons les médecins Bassand et Laugier, les peintres Van Schuppen et Bertrand, les faïenciers Cuny, Leduc et Germain, le numismate Vérot, le graveur Saint-Urbain. Les serviteurs de la Cour viennent également de Lorraine. Les Camerlander, Fricque dit la Montagne, Hoffmann, Horvath, Louvain des Fontaines, Simon dit Latour, Sirjean appartiennent à des familles qui servent la maison ducale depuis plusieurs générations. Leurs fils sont officiers dans l’armée impériale. Il est vrai que dès son avènement, l’archiduchesse Marie-Thérèse doit défendre ses possessions et que le sort de sa maison repose sur ses armées. C’est d’abord la guerre de la Succession d’Autriche (1740-1748) au cours de laquelle le grand-duc prend personnellement le commandement de l’armée, avant de le confier à son frère Charles-Alexandre. De nombreux Lorrains se battent contre les armées du roi de France, mais, plus tard, le renversement des alliances de 1756 enlève tout scrupule à ceux qui souhaitent servir dans l’armée impériale. Au cours de la guerre de Sept Ans (1756-1763), des officiers venus de Lorraine viennent grossir les rangs de ceux qui sont déj à fixés dans l’Empire : Bréchainville, Bretton, Busselot, Choiseul-Stainville, Circourt, Civalart, Custine, du Han, Ferraris, Herbel, Lalance de Tsillag, Lamarre, Lambertye, Laugier, Marchal de Berclat, Messey de Bielle, Potier, Saintignon … Les ingénieurs militaires, qui sont tout à la fois artilleurs, architectes, hydrauliciens, mathématiciens et physiciens, font cruellement défaut dans l’armée impériale. On emprunte à l’armée de Louis XV le célèbre Gribeauval ; on attire et on engage les Lorrains d’Avrange, Brequin, Cugnot, Estienne de Vauguez, Fallois, du Hamel de Querlonde, Fourquin, Maillard, Spinette, Thomerot. La guerre est un désastre, malgré de hauts faits d’armes et plusieurs brillantes victoires. Celle de Kolin, en Bohême, le 18 juin 1757, donne naissance à l’Ordre de Marie-Thérèse, décoration prestigieuse récompensant les actions d’éclat, qui est décernée aux officiers jusqu’en 1918. Les premiers à la recevoir sont le prince Charles-Alexandre de Lorraine, le général Claude Sincère et le colonel Joseph de Saintignon. Près de quarante officiers lorrains la méritent par la suite.
De nombreux Lorrains continuent de se fixer dans l’Empire. Serviteurs dévoués et officiers valeureux sont anoblis sous la titulature du Saint Empire ou des pays héréditaires. Ils reçoivent titres, décorations et propriétés, sont créés chambellans impériaux. De beaux mariages les mêlent à l’aristocratie autrichienne, polonaise, tchèque ou hongroise. Les femmes titrées sont admises dans l’Ordre de la Croix étoilée et sont Dames du Palais. Les scientifiques et les artistes, en général, ne restent pas à Vienne. Les artistes ont surtout besoin de commandes et de mécènes. François-Etienne et son frère Charles-Alexandre sont incontestablement des découvreurs de talents et des protecteurs des arts et des sciences mais, après la mort de l’empereur François-Etienne en 1765, l’influence culturelle lorraine décline. Après la mort de l’Impératrice-Reine, en 1780, elle disparaît. Mais les Lorrains continuent à servir sous les armes car la défense de la frontière militaire, aux confins de l’empire ottoman, la garde face à la Prusse et la répression des troubles en Transylvanie nécessitent encore beaucoup de troupes aguerries. En 1789, l’armée impériale assiège à nouveau Belgrade ; un ingénieur lorrain, Thierry de Vaux, s’y illustre. En 1790, elle fait face au soulèvement du Brabant ; le général Maximilien Baillet-Latour le réprime.
Sous le règne de Marie-Thérèse, les Pays-Bas autrichiens sont paisibles. Lorsque le prince Charles-Alexandre en est nommé gouverneur général, en 1744, Bruxelles devient un autre réceptacle de la fidélité des Lorrains. Le frère de l’empereur y a sa maison, constituée à Vienne avec d’anciens serviteurs de Lunéville. D’autres viennent de Lorraine, notamment de Commercy. En 1754, la princesse Anne-Charlotte est nommée abbesse séculière de Mons et s’y installe, suivie de ses derniers fidèles. Les Lorrains constituent la maison du gouverneur général et tiennent les châteaux de Tervuren, Mariemont et Montplaisir, lieux de brillantes réceptions et de grandes chasses. On y trouve entre autres les conseillers et secrétaires Charvet, Comes, Dieudonné, Gilbert, Giron, Houillon et Touffner, les intendants Baillot, Gamond et Novigrade, le bibliothécaire Sparr de Benstorf, les médecins Metzinger et Lattraye, les abbés Caussin et Henriquez, les maîtres d’hôtel Bioul et Thibauld, le valet de chambre Köröskeny, le chef de cuisine Pariset, le chef de lingerie Deuzan, le directeur des chasses Louis de Vaux, les piqueurs Avrillon et Barjon, le géomètre Frin. Mais les Pays-Bas ont leurs institutions propres où peu de Lorrains prennent place, sinon à titre quasi honorifique, comme Hennezel, Jadot, Lattraye, Pariset ou Köröskeny. Le prince, en revanche, est très attentif au sort de son entourage lorrain, accordant gratifications et pensions et appuyant les requêtes qui, en toutétat de cause, sont examinées à Vienne. Place d’auditeur à la Chambre des Comptes, anoblissement, admission dans les écoles militaires, avancement dans l’armée impériale, tout est décidé à Vienne mais l’impératrice ne refuse rien à son beau-frère qui, après la mort de François-Etienne, représente tout ce qu’elle a de plus cher. Le prince Charles est par ailleurs un généreux protecteur des arts et des sciences. Il accueille Jadot, venu de Vienne, il fait constituer un cabinet d’histoire naturelle, confié à Oudot de Dainville, il facilite l’établissement du faïencier Richardot et du sculpteur Cyfflé. Pour les Lorrains, les Pays-Bas sont proches et le gouverneur général y est appelé le duc de Lorraine.
Les affaires des duchés de Lorraine et de Bar ne sont pas oubliées. L’Empereur y a son procureur général et ses commissaires chargés de la liquidation de la dette et de la défense de ses intérêts. Les anciens officiers et serviteurs sont couchés sur le registre des pensionnaires de Sa Majesté Impériale. En 1766, au moment où les duchés sont rattachés à la France, on paie toujours les pensions, comme l’a demandé l’empereur François-Etienne dans son testament. Elles sont payées à Bruxelles par Charvet et à Nancy par Sivry, jusqu’en 1792. Ce dernier, après la profanation de l’église des Cordeliers, rassemble pieusement les débris des monuments de la maison de Lorraine.
La fin de la nation lorraine
Apprenant la mort de Charles-Alexandre, l’impératrice Marie-Thérèse déclare : » Voici cette antique et glorieuse maison de Lorraine à jamais éteinte ! « . Mais alors, qu’en est-il des seize enfants du duc François III ? Ils sont tout simplement devenus des Habsbourg ! Des Habsbourg-Lorraine, quand même ! Et puis, la maison de Lorraine a encore des princes. Joseph-Marie de Lorraine, prince de Vaudémont, cultive son oisiveté dans la lointaine garnison de Szeged. Son frère Charles-Eugène, prince de Lambesc, se rend célèbre pendant la Révolution. Enfin, à Versailles, la reine Marie-Antoinette, née archiduchesse d’Autriche, est