LA NOBLESSE DE LA LÉGION D’HONNEUR ET LES ARMOIRIES
Pas plus que les honneurs funèbres, la noblesse héréditaire de la Légion d’honneur et le port des décorations dans les armoiries ne concernent directement la présente étude, qui est consacrée au port des décorations, mais ils méritent un bref rappel.
La mention de la décoration dans des armoiries est tout à fait légitime, à l’heure actuelle. En effet, si le décret du 1er mars 1808, rétablissant les titres de noblesse en France, visait la Légion d’honneur, et si les articles 21 et 22 prévoyaient que les membres de la Légion d’honneur porteraient le titre de chevalier de l’Empire, auquel participèrent également, après sa création, les membres de l’ordre de la Réunion, le roi en 1814 indiqua, dans l’art. 1er de l’Ordonnance du 8 octobre, qu’il continuerait d’être expédié des lettres patentes conférant le titre personnel de chevalier et des armoiries aux membres de la Légion d’honneur qui se «retireront», à cet effet, devant le Chancelier de France et qui justifieront qu’ils possèdent un revenu net de 3000 F en biens immeubles situés en France.
L’art. 2 de ce même texte précisait que lorsque l’aïeul, le fils et le petit-fils ont été successivement membres de la Légion d’honneur et ont obtenu des lettres patentes conformément à l’art. précédent, le petit-fils sera noble de droit et transmettra la noblesse à toute sa descendance.
Ces dispositions sont-elles toujours applicables ? Après l’abrogation des titres de noblesse, prononcée par le Gouvernement provisoire de la IIe République, le 29 février 1848, Louis Napoléon, par décret du 24 janvier 1852, rétablit les titres de noblesse. Et la IIIe République n’a rien modifié à ces dispositions. Toutefois, on peut avoir des doutes sur la réalité de la transmission de ce titre nobiliaire, dans la mesure où il n’est plus expédié de lettres patentes depuis le décret concernant la famille Flury-Herard du 25 septembre 1874.
Cette famille offre le seul et dernier cas parfait d’application connu de l’art. 12 du décret du 1er mars 1808.
Le décret du Président de la République, du 25 septembre 1874, qui confirme l’hérédité de la Légion d’honneur, précise:«Vu la requête présentée au nom de Monsieur Flury-Herard, Chevalier de la Légion d’honneur, tendant à obtenir la confirmation du titre de chevalier conféré à son grand-père par lettes patentes du 20 janvier 1811, renouvelé par lettre du 25 novembre 1814 et confirmé en faveur de son père par décret du 23 mai 1866, vu les articles 11 et 12 du premier statut du 1er mars 1808, l’art. 22 du décret du 3 mars 1810 et les articles 1 et 2 de l’ordonnance du 8 octobre 1814, vu le décret du 8 septembre 1869 qui a créé le requérant chevalier de la Légion d’honneur, vu l’avis émis le 8 septembre 1874 par le Conseil d’administration du ministère de la Justice, sur la proposition du Garde des Sceaux, décrète : article 1er – Monsieur Flury-Herard, Chevalier de la Légion d’honneur, est autorisé à porter le titre de chevalier conféré à son aïeul et confirmé en faveur de son père».
Quant au port de nos jours, à titre viager, du titre de chevalier, un avis du Conseil d’Administration du ministère de la Justice, du 18 avril 1913, a précisé que les membres de la Légion d’honneur qui n’auront point obtenu de lettres patentes de leur titre, ne pourront prendre celui de chevalier de l’Empire et qu’ils ne pourront, dans l’énonciation de leur qualité, mettre le titre de chevalier qu’à la suite du nom en désignant l’ordre auquel ils appartiennent. Et le 21 avril 1932, une note de la Direction des Affaires civiles et du Sceau, a indiqué que le titre de chevalier et le titre de noblesse ne sont pas acquis de plein droit par le seul fait d’une nomination dans l’ordre de la Légion d’honneur.
A noter que l’Ordonnance de 1814, dont l’article 1er indique qu’il continuera d’être expédié des lettres patentes confirmant le titre personnel de chevalier et les armoiries aux membres de la Légion d’honneur, et dont l’article 2 précise que lorsque l’aïeul, le fils et le petit-fils ont été membres de la Légion d’honneur et ont obtenu des lettres patentes conformément à l’article précédent, le petit-fils sera noble de droit et transmettra la noblesse à toute sa descendance, ne figure pas parmi les 78 textes abrogés dont l’énumération précède le décret du 28 novembre 1962 qui refond les statuts de la Légion d’honneur. Mais la solution contraire résulte d’une décision prise le 10 mai 1875 en Conseil des ministres, sous la présidence du maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta. A cette date, en effet, le chef de l’État décidait, sur le rapport du Garde des Sceaux, qu’en l’état des lois constitutionnelles, il y avait lieu d’écarter les demandes ayant pour objet la collation de titres français nouveaux.
Aux yeux de la Grande Chancellerie, depuis lors, ne pourrait être qu’incompatible avec la Constitution toute interprétation autre, étant en particulier observé que le préambule et l’article 2 de l’actuelle loi suprême de la République font obstacle à ce que, même dans certains cas et sous certaines conditions, la seule naissance puisse conférer titres ou privilèges honorifiques particuliers en France.
On peut donc se demander, quels que soient les droits dont, sur le plan légal, pourraient bénéficier les membres de la Légion d’honneur, si les titres, dont ils se réclameraient, ne sont pas «inachevés », en ce sens que la puissance publique n’accorde pas les lettres patentes qui permettent d’en user; dès lors, nul ne pouvant s’instituer noble soi-même, en vertu des textes existant, et sans reconnaissance de la puissance publique, ces titres sont sans effet. En revanche, les armoiries ne sont soumises à aucune réglementation, si ce n’est la protection des armoiries existantes, et chacun peut continuer à les porter, à les modifier, voire à imaginer des armoiries modernes qui, si elles suivent les règles symboliques héraldiques, permettront de résumer l’histoire familiale ou la carrière du titulaire.
Les évêques et les prélats continuent encore, du moins jusqu’à ces dernières années, à se faire confectionner des armoiries qu’ils portent dans les églises romaines dont les cardinaux sont titulaires, sur leur trône dans les cathédrales françaises, sur leurs livres familiers ou sur le sceau dont ils usent pour sceller les pièces officielles de leur chancellerie. Un membre de la Légion d’honneur ou du Mérite, ou un titulaire d’autres décorations, peut donc, dans ses armoiries, les porter sur une pièce «honorable » de son écu. La consultation de l’armorial de Révérend, qui rassemble les armoiries impériales, pourra inspirer à chacun, dans le respect du bon goût, des armoiries personnelles mentionnant sur une des pièces une décoration. Il semble même que ces décorations puissent être portées non seulement sur une des pièces de l’écu, mais à l’extrémité de ce dernier, selon les usages d’Ancien Régime, sans que cette possibilité de porter sous l’écu la décoration soit réservée aux grands-croix.
Les maréchaux d’Empire portaient d’ailleurs habituellement plusieurs décorations sous l’écu et l’héraldique du Second Empire admettait cette particularité. C’est ainsi que dans les armes du maréchal Randon figurent, outre la Légion d’honneur, la Médaille militaire, Saint-Grégoire-le-Grand, et deux autres décorations peu faciles à identifier. On peut également poser les armoiries sur les insignes de la Légion d’honneur comme cela se pratique dans l’ordre de Malte ou celui du Saint-Sépulcre pour les prélats, qui placent leur écu sur les insignes de ces ordres, les seuls d’ailleurs dont ils puissent faire mention dans leurs armoiries puisque la mention des ordres civils a été proscrite.
Les membres des différents ordres français ou étrangers peuvent également en faire mention sur des objets usuels et faire graver des timbales ou des assiettes de leurs initiales et du signe de la décoration dont ils se réclament.