LA NOBLESSE DES COËTANLEM
Dès le XVIe siècle, à tort ou à raison car ils ne semblent pas s’être présentés aux réformations ducales de 1427 qui furent jugées comme très sûres par la chambre de réformation de 1668, la noblesse des Coëtanlem passait pour ancienne ; cependant, il n’a pas été pas possible, aujourd’hui comme au XVIe, XVIIe et XVIIIe, de remonter leur généalogie au-delà de Yvon Coëtanlem et Catherine Calloët son épouse. Notre opinion est que nous sommes en présence d’hommes nouveaux qui vont bientôt éclipser les quelques familles s’enorgueillissant de racines plus anciennes. Une partie de ces « nouveaux riches » de la Renaissance va bientôt s’agréger à la noblesse, s’y allier, la patine des temps faisant le reste.
Les quelques rares et incertaines citations à leur sujet ne permettent pas d’en tirer de conclusions :
– Faut-il voir un Coetanlem sous le nom improbable de « Eon de Quoetchailleen » lors de la montre de Geoffroi de Kerimel, le 29 avril 1378 à Avranches? (Dom Morice)
– En 1407, un Coatanlem fait une donation à la chapelle Notre-Dame de la Fontaine.
– du 8 février 1408 à la même période de 1409 Henry de Quoitanlem est fermier de la coutume de la toile à Morlaix .
Mis à part les corsaires et armateurs Jean, Nicolas et Christien Coëtanlem qui firent fortune dans le commerce maritime et les offices, les membres de cette famille furent de tout temps assez peu argentés. Ce manque de fortune les maintint dans une situation assez modeste, au point qu’il se virent même plusieurs fois contester leur qualité de nobles.
L’appartenance au second ordre conférait non seulement des avantages honorifiques et des facilités d’accès aux charges les plus honorables de l’état, mais encore elle procurait des avantages pécuniaires tels que l’exemption du fouage, du droit de franc-fief, de la plupart des péages et coutumes, du logement des gens de guerre et des corvées. Tout passage du tiers à la noblesse portait préjudice aux finances royales ou lésait les coparoissiens du privilégié. C’est pourquoi l’un des objectifs des réformations ducales, conduite sous forme d’enquêtes dans chaque paroisse, fut de recenser, et par là limiter, la population noble et exempte de certains impôts.
Leurs services militaires
Si les nobles avaient le privilège d’être exempts de certains impôts, il existait néanmoins une contrepartie, parfois lourde à supporter. Seuls les possesseurs de fiefs, les nobles à l’origine, devaient à leur seigneur suzerain, à cause de leur fief, le concours de leur personne en armes. L’importance de l’armement était réglé par mandement des Ducs en fonction du revenu. Quand les bourgeois acquéraient des terres nobles, ils devenaient par là même sujets aux armes à la place de leurs devanciers. Les terres roturières payaient l’impôt de remplacement : le fouage.
A la montre de l’évêché de Tréguier à Guingamp en janvier 1479, on trouve pour la ville de Morlaix, paroisse Saint-Mahé (Mathieu) : Nicolas Coetanlem, archer en brigandine et Michel Coetanlem.
Les 4 et 5 septembre 1481, tous « les nobles, ennobliz et autres subjects aux armes de l’Evesché de Tréguier » firent montre à Lannion. A cette montre comparurent les nobles de la ville close de Morlaix et de la paroisse Saint-Mahé (Mathieu). C’est au quatrième rang en terme de revenus qu’apparaît Nicolas Coëtanlem avec 120 livres de rentes déclarées (ville close). Il se fait remplacer par un modeste archer en brigandine, Marc Le Lagadec.
C’est ce que confirma le 4 décembre 1483, une enquête faite par Jehan de Lesmaes, seigneur de Lesmaes, sénéchal de la cour de …., Jehan et Guyon de Kersulguen étant officiers royaux, rappelant que le sr Coetanlem de Keraudy était noble « subject aux armes et montres et aux armes lors qu’il estoit mandé comme les autres nobles dud. pays et que mesmes il estoit proche parant du seigneur de Bourouguell pour lors de par son père… »
A la fin du XVe siècle, le 14 juillet 1488, le duc François II, pour remercier Nicolas Coëtanlem, lui accorda « franchise exempcion et liberté de fouaige … pour ses héritaiges et les y demourantz en la paroesse de Ploezoc’h, en considération et contemplation des bons, gros et agréables services que led. Coetanlem et les syens avoient faict au duc; et démonstrant le duc avoir désir de son continuel service, apposa la clausule en son mandement, pourveu que led. Coetanlem eust servy led. seigneur en armes… ainsi que les autres nobles de son pays et duché… »
En 1487, avec Olivier de la Bouexière, Christien Coëtanlem reçut 800 livres pour avoir avitaillé un navire du Duc; il était capitaine du navire « le Grozet » en 1487 (le maître étant Daniel Symon) et à ce titre exempt de fouage avec l’équipage pour s’être distingué contre les français. Le capitaine commandait aux troupes embarquées alors que le maître s’occupait de la marche du navire.
Christien Coëtanlem, seigneur de Keravel, fut représenté par Jean Le Feuvre « en brigandine, salade, espée et javeline » à la montre générale des nobles de l’évêché de Léon au Minihy le 25 septembre 1503. Son petit fils, Christien Coëtanlem, écuyer, seigneur de Keravel, figure en tant qu’archer aux montres de Léon tenues au Minihy le 15 mai 1534 et à Saint-Renan le 24 août 1557.
Les Réformations
Les Réformations avaient pour but de préciser la qualité des personnes au regard de l’impôt. Si les Coëtanlem ne parurent pas à celle de 1427, ils figurèrent aux Réformations suivantes.
Lors de l’enquête faite en 1448 sur commission du Duc pour connaître le nombre des « nobles, métayers et autres exempts et supportez ès paroisses de l’évesché de Léon » : à Plougoulm, on trouve :
– nobles : Jehan Coëtanlem,
– métayers exempts : celui de la terre de Bourret, appartenant à Jehan Coëtanlem et « est son principal lieu et son père y demeura et décéda ». En effet, tout seigneur qui n’exploitait pas lui-même sa terre avait droit à l’exemption du métayer exploitant « son principal lieu ». François Coëtanlem, écuyer, seigneur de Coëtleau, passa à la réformation de 1535 à Plusquellec où est mentionné « le manoir de Coëtleu appartenant à François Coëtanlem, noble homme ».
En 1538, Jean Coëtanlem « confesse que les Coëtanlem ont de tout temps anciens et immémorial partagé leurs biens noblement, deux parts et tiers, ainsi que les autres gentilshommes du païs et Duché, … que de plus ancienz tempz il avait partagé dans la famille des Coëtanlem leurs biens comme d’entienne chevalerie, a viage, selon l’assise du comte Geffroy, et soutenu que jamais ils n’avoient faict de traffic ny commersse de bourse commune »
La réformation de 1543 qui fut la dernière avant celle de 1668, fait mémoire en la paroisse de Saint-Melaine de Nicolas Coëtanlem « noble » et déclare qu’il « a acquis la pièce de Penanrue en la par. de Ploëjehan, de même que le manoir de Keraudy, celui de Trieffvin et celui de Kerivalen en la paroisse de Ploëzoc’h »
Les modes de preuve
La Coutume de Bretagne distinguait les biens nobles des biens roturiers, et donnait à l’aîné un certain nombre de droits lors des partages successoraux :
« ART.541. Les maisons, fiefs, rentes de convenans & domaines congéables nobles, & autres terres nobles, soient d’ancien patrimoine ou d’acquêt, et les meubles, seront partagés noblement, entre les nobles qui ont, eux et leurs prédécesseurs, dès & paravant les cent ans derniers, vêcu & se sont comportés noblement. Et aura l’aîné par préciput, en succession de pere & de mere & en chacune d’icelles, le Château ou principal Manoir, avec le pourpris qui sera le jardin, colombier, & bois de décoration & outre les deux tiers. Et l’autre tiers sera baillé aux puînés, par héritage, tant fils que filles, pour être partagé par l’aîné, entr’eux par égales portions; & le tenir chacun desd. puînés, comme juveigneur d’aîné en parage & ramage dudit aîné. »
« ART.548. Et quant aux terres roturières qui se trouveront aux successions tant directes que collatérales, seront partagés également entre l’aîné & puinés, le choix et élection réservé à l’aîné, après que les lots auront été faits & reçus entr’eux. »
C’est à dire que les cadets avaient intérêt à ce qu’il y ait une grande proportion de biens roturiers dans les successions, et les aînés à ce que la proportion soit inverse. C’est ce que fit Louis Coëtanlem en 1567, disant et supposant que l’origine des biens résidait dans le commerce. Pour éviter une brouille, et surtout une procédure à l’issue peut-être incertaine, un accord intervint et il reçut 750 livres de Jacques Coëtanlem.
Le partage noble avait une grande importance, non seulement pour la conservation du patrimoine, mais encore parce que ce sont les actes dressés à l’occasion de ces partages qui servaient à prouver la noblesse. L’article précité ouvrait même la porte à la prescription acquisitive de la noblesse en réclamant comme preuve la possession centenaire.
Pour qu’il y ait partage, il fallait encore qu’il y eut un minimum de biens à partager. A défaut, le port d’une qualification nobiliaire, telle que « noble homme » ou « écuyer » lorsqu’il n’était pas contesté par le groupe social ou l’autorité publique consacrait aussi l’appartenance à la noblesse.
UNE NOBLESSE CONTESTEE
Lors d’une enquête faite en 1539 par la commission de réformation du domaine royal, le fisc avait tenté de soumettre au fouage la postérité de Nicolas Coëtanlem, sous prétexte qu’il s’était occupé de marchandises. Impôt foncier par excellence, le fouage se prélevait uniquement dans les paroisses rurales et s’adressait exclusivement aux roturiers.
Ses descendants, parmi lesquels figurait François de Goëzbriand, fils de Marguerite Coëtanlem de Keraudy, protestèrent. Il y eut en 1539 une enquête où furent entendus 17 témoins. Tous s’accordèrent à déclarer que les Coëtanlem étaient déjà à cette époque une famille de vieille noblesse, et que, pour ce qui concernait Nicolas Coëtanlem, il ne s’était occupé de marchandises que pour la construction et l’avitaillement de la Cordelière.
Sur ce dernier point, les différents témoignages de cette enquête furent trop complaisamment inexactes. Jehan Boesel « dict n’avoir veu ledit (Nicolas) Coatanlem faire aucun train ne trafficque de marchandise » ; Richart Henry « l’a veu se gouverner, régir et tenir noblement et comme homme de condition noble, et a veu ledict Yvon Coatanlem, Nicolas et Jehan, fils dudict Nicolas, servir aux Ducs, princes et roys… » ; ces dépositions étaient même mensongères car il était de notoriété publique que la grande fortune de Nicolas Coëtanlem avait été faite dans la guerre de course et surtout dans le grand commerce maritime. Un registre de ses trafics et opérations commerciales conservé aux archives du Finistère, ne permet aucun doute à cet égard. Cela, du reste, ne rend aucunement suspecte la réalité de la noblesse des Coëtanlem.
A la même époque, une enquête de 1539 faite par Pierre Torel, lieutenant de la cour de Lesneven, à l’instance de Jehan Le Borgne pour prouver leur noblesse nous renseigne sur les critères qui étaient alors retenus; certains sont inattendus. Françoise de Goezbriand, demoiselle âgée de 60 ans :
« … recorde avoir … veu led sieur de Kerguidou, ses frères, père et ayeul respectivement et successivement vivre et se gouverner noblement et parler estat de noblesse comme les aultres nobles du pays, tant par vivre de leurs revenus et avoir de quoy le faire, et aussi par tenir bonne et honneste maison en laquelle elle a veu les nobles du quartier estre bien et honorablement recueillis, que en accoustrement qu’ilz portent distinctz et séparés des non nobles aud; quartier et comme nobles gentz les a veus par led. temps nommé et appelé gentilz hommes de noms et d’armes… »
Ce sont là des preuves testimoniales où les méandres de la mémoire et la pression sociale n’apportent pas la rigueur des preuves écrites qui seront réclamées lors des réformations de la noblesse initiées par Colbert.
LE COMMERCE MARITIME NE DEROGE POINT
En Bretagne, le commerce de gros ne faisait pas perdre la noblesse et bon nombre de gentilshommes y cherchaient avec plus ou moins de profit de quoi suppléer à l’insuffisance ou à l’absence totale de revenus. Les ducs Jean V et Pierre II (ordonnance du 19 décembre 1456) avaient garanti le maintien de la noblesse à ceux qui marchanderaient en gros sans les détailler ni vendre à la main. Des titres d’époque signalent comme « notable marchand de Saint-Pol » les membres de familles les plus qualifiées du pays : les Forget, Hamon, La Boëxière, Le Gluydic… En revanche, en Bretagne le commerce de détail faisait « dormir » la noblesse. C’était une des particularités fondée sur l’article 561 de la Coutume de Bretagne :
« les nobles qui font trafic de marchandises et usent de bourse commune contribueront pendant le tems du trafic et usage de bourse commune aux tailles, aides et subventions roturières. Et seront les acquêts faits pendant le tems, ou qui proviendront dudit trafic ou bourse commune partagés également pour la première fois : encore que soient d’héritages et fiefs nobles. Et leur sera libre de reprendre leur dite qualité de noblesse et privilège d’icelle, toutefois et quantes que bon leur semblera, laissant lesdits trafics et usage de bourse commune et faisant de ce déclaration devant le prochain juge royal de leur domicile. Laquelle déclaration ils seront tenus de faire insinuer au registre du grefe et intimer aux marguilliers de la paroisse du domicile, pourvu qu’après ladite déclaration ils se gouvernent et vivent comme appartient à gens nobles. Et en ce cas les acquêts nobles depuis par eux faits, seront partagez noblement »
C’est à dire que tant que l’on exerçait une activité incompatible avec la qualité de noble, soit un art mécanique (travail manuel comme l’orfèvrerie, ce qui sera le cas de certains Coëtanlem), le commerce de détail ou une charge inférieure comme procureur, on perdait cette qualité, ou plutôt elle était en sommeil. Pour récupérer sa qualité d’origine il suffisait de cesser l’activité qui était cause de dérogeance et de faire une déposition au tribunal, déclarant se gouverner noblement (principalement se partager noblement), vivre de ses rentes et servir aux bans et arrière-bans; la lecture de cette déclaration était faite au prône de la grande messe. Le 12 avril 1499 à Plouezoch, lecture fut faite au prône de la grande messe d’un acte où les paroissiens reconnaissaient les prééminences et intersignes de noblesse que Nicolas Coëtanlem, sgr de Keraudy, possédait en cette paroisse.
Le commerce constituait une étape pour s’enrichir et, aussitôt le patrimoine constitué ou reconstitué, les ex-commerçants s’empressaient de vivre noblement ou d’occuper des fonctions, comme celles de notaire ou avocat « de grande maison parfois, qui ne manquent point dans la ville à cause que le mestier d’advocat, pareillement au commerce de mer, ne desroge pas ». L’exercice, et souvent le cumul, de ces charges judiciaires lucratives permettait de consolider la fortune ainsi acquise. Les profits qu’ils avaient tirés du commerce étaient employés en acquisition de ferme des impôts, rentes et terres nobles qui donnaient une assise rurale. Aucune des grandes familles commerçantes de Morlaix et Saint-Pol n’avaient constitué de dynasties de nobles commerçants sur plus de deux ou trois générations parce que la pratique demeurait occasionnelle.
La grande aventure commerciale étant interdite et souffrant d’une réputation moyenne, on comprend que ceux qui s’y soient livrés aient eu des techniques commerciales rudimentaires et une optique d’enrichissement à court terme.
A SAINT-POL, REPRESENTANT DE LA NOBLESSE, PUIS DU TIERS AUX ETATS
Le 15 janvier 1617, les gentilshommes, bourgeois et habitants du Minihy de Saint-Pol tinrent une assemblée et choisirent un procureur de chaque ordre pour veiller à la conservation des droits, privilèges et prérogatives des ordres respectifs. Au nombres des gentilshommes étaient : Hamon de Kersauson, sr de Guenha, sénéchal des regaires, Hamon Le Jacobin, sr de Keramprat, substitut du procureur du Roi, écuyer François Parcevaulx, sr du Prathir, Jean du Dresnay, sr de Kervarch… Hamon Coëtanlem, sr de Chef du Bois, Christien Coëtanlem, sr du Goazillou, Jean Kerscau etc… représentant le corps de la noblesse du Minihy, ils désignèrent Hamon Coëtanlem, sr de Chef du Bois, comme procureur des nobles en remplacement de Jean du Dresnay, sr de Kervarch, dont le temps était expiré.
Le 3 février 1631, se tint une assemblée générale des habitants de Saint-Pol présidée par écuyer Hamon Coëtanlem, sieur de Chef du Bois, lieutenant de la cour de Saint-Pol;
Etaient présents : écuyer Hamon Le Jacobin, sr de Keramprat, procureur fiscal de cette cour, Guillaume L’Abbé, sr du Parc, syndic, assistaient aussi de la noblesse : Jean du Dresnay, sr de Kervarch, Hamon Coëtanlem, sr de Launay, Nicolas Kerozven, sr de Penvern, Jean Kermellec, sr de Keroulaouen, Christien Coëtanlem, sr de Goazillou, Yves Le Grand, sr de Kerantraon, Hamon Kerret, sr de Keravel. Assistaient du tiers : Prigent Le Hir, sr de Kermarquer, etc… Lesquels nommèrent son frère, écuyer Christien Coëtanlem, sr de Goazillou en tant que procureur des nobles (c’est à dire représentant des nobles aux assemblées de la communauté) du Minihy à la place du sieur de Kerret Keravel.
Le 19 février 1632 se tint une assemblée générale des habitants de Saint-Pol auxquels fut exposé par écuyer Hamon Coëtanlem, sieur de Chef du Bois, lieutenant de la juridiction de Saint-Pol, écuyer Christien Coëtanlem, sr de Goazillou son frère, et Hamon Coëtanlem, sr de Launay, son fils, faisant tant pour eux que pour Hervé Coëtanlem, écuyer, sr du Plessix :
« qu’il est notoire qu’ils ont toujours été employés par la communauté en leurs affaires les plus urgentes, et de plus grande conséquence, comme leur députés, tant pour la défense des procès que pour assister aux assemblées des états de la province et qu’autres affaires… et ledit sr de Chef du Bois avait été nommé par la noblesse du canton pour leur procureur et ledit sr de Goazillou l’être à présent; ayant été toujours observé que lors de l’institution d’un procureur syndic, les nobles du Minihy nomment l’un d’entre eux pour leur procureur pour représenter et conserver leurs droits aux occasions requérant la présente assemblée de leur donner pour connu ce que dessus et comme ils ont vu lesdit Coëtanlem vivre noblement et comme tels tenus et réputés au quartier.
» Christien Coëtanlem, sieur de Goazillou avait été député par la communauté de Saint-Pol aux États de Bretagne ; il y figura comme député du Tiers, et n’y pouvait figurer autrement, attendu qu’il était pourvu d’office de judicature qui privait les nobles du droit de siéger et de voter dans l’ordre de la noblesse pendant le temps qu’ils exerçaient des fonctions de juge.
Son fils, Hervé de Coëtanlem de Rostiviec, y assistera par contre avec la noblesse.
LA REFORMATION DE 1668
Lors de la grande réformation de la noblesse menée par Colbert de 1668 à 1671, pour des raisons principalement fiscales, l’attitude adoptée fut différente selon les branches. La Bretagne n’avait pas connu de réformations depuis celle de 1543 et les familles avaient perdu l’habitude du contrôle des titres servant à prouver leurs privilèges.
Hervé de Coëtanlem, sr de Goazillou, demeurant à Saint-Pol, fut débouté le 8 juillet 1670 au rapport de M. de Lopriac et condamné à 400 Livres.
Hamon Coëtanlem, sr de Launay, demeurant à Saint-Pol s’était aussi vu débouter le 23 juillet 1670 au rapport de La Bourdonnaye et condamné à 400 livres d’amende.
Hamon Coëtanlem, sieur de Pratmeur, aîné de la famille, « chef de nom et armes » comme l’on disait alors, essaya en vain de faire reconnaître leur noblesse et se vit débouter le 27 janvier 1671, sur le rapport de M. de Bréhant ; il dut payer 400 livres d’amende comme usurpateur de noblesse, faute d’avoir pu apporter des preuves suffisantes. Cet arrêt peut s’expliquer par la situation économique très modeste où se trouvait à l’époque cette branche; il est possible qu’elle ait renoncé au partage noble, condition impérative pour la maintenue. D’autre part, les titres et papiers de leur famille étaient passés par alliance dans les maisons de La Roche et de Kersaintgilly avec lesquelles les Coëtanlem de Rostiviec étaient brouillés. Lors de la naissance de son fils Claude en 1667, Hamon Coëtanlem est qualifié de « noble personne », mots sur lesquels a été fait un pâté d’encre pour les masquer, et réécrit au-dessus « escuier »…
Par contre, chez certains cadets qui avaient délaissé la noblesse, et devant les échecs répétés de leurs cousins, l’attitude fut sans ambiguïté : Jacques de Coëtanlem, sieur du Plessis, avocat en la cour de Saint-Pol, se désista de ses prétentions nobiliaires le 17 octobre 1668, bénéficiant de la réduction d’amende promise aux désistants, soit 100 livres.
Le patrimoine purement mobilier ou formé d’immeubles urbains ou roturiers entraîna une difficulté à produire des partages nobles, témoignage du gouvernement noble de la famille. Les désistement étaient souvent formulés « quant à présent », c’est à dire avec la réserve qu’ils seraient annulés si les déclarants réussissaient à découvrir des titres probants.
LE POINT D’HONNEUR
Les Coëtanlem de Rostiviec, alors cadets, étaient d’ailleurs particulièrement chatouilleux au sujet de leur noblesse : en 1688, Hervé de Coëtanlem se trouvant à Paris, eut un litige avec le sieur Bude de Blanchelande qui lui avait dit qu’il n’était pas gentilhomme. Ce différend fut porté devant le tribunal du « point d’honneur ». Les lieutenants des maréchaux de France, juges du point d’honneur, avait été créés par édit du roi Louis XIV, de mars 1693 ; cet édit créait et érigeait en titre d’office, formé dans chaque bailliage et sénéchaussée, un lieutenant des maréchaux de France « pour connaître et juger des différends qui surviendront entre les gentilshommes, ou autres faisant profession des armes, soit à cause des choses, droits honorifiques des églises, prééminences des fiefs et seigneuries, ou autres querelles mêlées avec le point d’honneur… ». Leur rôle était essentiellement de conciliation.
Par jugement rendu par les maréchaux de France le 29 mai 1688, le sieur Bude de Blanchelande fut condamné sur la vue des titres du suppliant à le reconnaître pour tel. La sentence obligea le sieur de Blanchelande à faire des excuses à Hervé de Coëtanlem et à se rendre pour cela chez celui-ci, conduit par un de leurs prévôts et en présence de ses amis.
LA VIE NOBLE
Mais jouissant d’une situation plus en vue puisque Hervé de Coëtanlem, sieur de Rostiviec, commandait pour le roi la ville et château de Morlaix, ils jugèrent superflu d’entamer des négociations à ce sujet et de défendre leur cause . Peut-être aussi leur situation à Morlaix et leur réputation de noblesse alors bien établie leur paraissaient tenir lieu de preuves suffisantes. Hervé de Coëtanlem de Rostiviec n’avait-il pas eu séance et voix délibérative dans l’ordre de la noblesse aux assemblées des Etats tenus en 1665, 1669, 1675, 1677, 1679, 1681, 1683, 1687, 1689, 1693 (En cette dernière tenue, il fit partie des députés nommés le 6 octobre pour examiner les comptes de René Leprestre de Lezonnet, trésorier des Etats, qui se livrait à de nombreux abus), 1695 et 1699 ?
LA PREMIERE MAINTENUE
Tel n’était pas l’avis des agents du fisc. Vers 1698, Bernard de Coëtanlem de Rostiviec se vit inquiéter par le sieur François Ferrand, préposé au recouvrement des amendes dues par les usurpateurs de noblesse, qui avait fait figurer dans un rôle arrêté au conseil le 13 mars 1698, Hervé de Coëtanlem, son père, pour une somme de 2.200 livres, pour avoir pris la qualité de noble, au préjudice d’une prétendue renonciation faite par Christien de Coëtanlem le 17 octobre 1668 (date à laquelle le dit Christien était déjà mort ; En réalité, la renonciation avait été faite par Jacques de Coëtanlem, sieur du Plessis). Il est vrai qu’ils avaient été déboutés faute de produire les preuves requises. A cette époque on traquait les faux nobles et on déboutait les vrais au moindre défaut de preuve, afin d’accroître les recettes des impôts et de faire rentrer un peu plus d’argent dans les caisses du trésor royal. Bernard de Coëtanlem se mit alors au travail pour prouver leur noblesse ; en juillet 1698, il se fait délivrer par la chambre des comptes de Nantes des extraits des réformations de 1443 et 1535, ainsi qu’un rôle de montre de 1536.
Bernard de Coëtanlem reçut l’injonction de payer en mars 1705 et vit même tout ses biens mis sous saisie par ordonnance de l’intendant Louis Bechameil de Nointel. L’intendance lui avançait que Hervé de Coëtanlem, son père, avait été condamné sur défaut de preuve comme usurpateur de noblesse par arrêt de la chambre de réformation du 8 juillet 1670. Il interjeta appel au roi et aux commissaires pour la vérification des titres de noblesse qui lui firent droit sur son opposition au rôle de 1698. Sur sa noblesse, ils le renvoyèrent devant l’intendant Ferrand. En octobre 1708, il avait obtenu mainlevée des saisies par arrêt du Parlement de Bretagne.
De 1710 à 1742, Les Coëtanlem de Rostiviec paient pourtant la capitation noble à Morlaix Saint-Martin.
Nonobstant cela, il fut poursuivi avec acharnement jusqu’au 18 février 1715, date à laquelle il obtint un jugement par l’intendant de Bretagne qui le déchargea du paiement de la somme de 2.200 livres et le maintint en la qualité de noble et d’écuyer, lui et ses enfants nés et à naître en légitime mariage. Il est cependant utile d’observer que ce jugement fut rendu par l’intendance, à une époque où il était défendu au Parlement de connaître des affaires de noblesse. Le Parlement, comme nous allons le voir, attendra d’avoir récupéré cette prérogative pour les obliger à refaire leurs preuves en 1772.
INQUIETES A NOUVEAU
En Bretagne, pays d’Etat et de Parlement, cette mesure ne suffisait pas à réhabiliter complètement la noblesse des Coëtanlem. Aussi ces derniers furent-ils de nouveau et plusieurs fois inquiétés au cours du XVIIIe et accusés d’être de faux nobles. Louis Le Guennec en furetant dans le grenier de Trogriffon y avait retrouvé un acte du XVIIIe relatant l’échec subi par Monsieur de Coëtanlem devant l’intendant de Bretagne au sujet de ses prétentions nobiliaires et d’un bien roturier qu’il s’était vainement efforcé de faire exempter comme bien noble.
Les 12 juillet et 12 août 1758, Hervé de Coëtanlem, sieur de Rostiviec, fit dresser procès-verbal par les juges royaux de ses prééminences en l’église Saint-Melaine de Morlaix. Il réclamait l’enfeu de la chapelle dite de Jésus (Au XVIe siècle, cette chapelle avait porté le nom de saint Jacques), la deuxième à droite du côté de l’épître en entrant et joignant les prééminences des seigneurs de Lesquiffiou, et déclarait n’avoir nul titre que ses armes de supériorité « d’argent à la fleur de lys de sable, surmontée d’une chouette de même becquée et membrée de gueule ». A cette époque on voyait encore dans le vitrail les armes des Coëtanlem avec celles de familles alliées : Calloët de Lanidy, Le Borgne de Lesquiffiou, de L’Isle.
En 1759, écuyer Hervé de Coëtanlem, sieur de Rostiviec, revendiquait encore comme lui appartenant dans la chapelle Saint-Nicolas à Morlaix, un banc clos avec accoudoirs, plus une tombe et quatre pierres tombales plates, lesquels bancs et tombes lui provenaient de la succession d’Hervé de Coëtanlem et Perrine Le Gouverneur, ses grands-parents.
Malgré toutes ses démarches, Hervé de Coëtanlem s’étant inscrit sur la liste des nobles de l’évêché de Léon, se vit refuser l’entrée aux Etats de Bretagne « rayé et renvoyé se pourvoir au parlement »…, lorsque ceux-ci tinrent leur session à Morlaix en 1772. Les commissaires des Etats se montrèrent intransigeants parce qu’une ordonnance royale du 10 février 1770 avait prescrit aux nobles qui n’avaient pas produit, ou qui ayant été déboutés lors des réformations de 1668, n’avaient obtenu des jugements confirmatifs qu’entre 1696 et 1729 (ce qui était leur cas, ayant été maintenus à l’intendance en 1715), de faire les démarches nécessaires pour en obtenir en bonne et due forme auprès du Parlement sous peine de se voir exclus des rangs de la noblesse aux Etats de Bretagne. Cette exclusion, dans la ville même où ils habitaient, était très humiliante pour les Coëtanlem et mettait en suspicion l’authenticité de leur noblesse. D’autant plus qu’ils n’avaient été que quatre à être rayés pour l’évêché de Léon : Olivier Claude de May, pour n’avoir point produit ses preuves, Claude de Kerimel de Kerveno, pour dérogeance temporaire, et M. de Chateaufur de Kervolan et lui « renvoyés se pourvoir ».
UNE LETTRE ANONYME
Un long mémoire rédigé par Pierre Joseph Jean de Coëtanlem et adressé à un religieux (sans doute le directeur de conscience de Madame Gaudin du Coudray, sa future belle-mère) nous fait connaître que ces démarches en vue de la confirmation de noblesse n’avaient pas que l’honneur pour seul motif : Au moment où Pierre Joseph Jean de Coëtanlem allait contracter mariage, la mère de sa fiancée avait reçu une lettre anonyme, dont elle lui communiqua la copie suivante, probablement expurgée.
Une à une, avec beaucoup d’esprit, il réfute toutes ces calomnies, prenant la peine de bien détailler la part des faits du mensonge et d’étayer ses réponses. Il confesse avoir naguère fréquenté des jeunes qui jouaient au billard ; il reconnaît le penchant de son père pour la boisson :
« il est d’autant plus louable de s’en être corrigé que la chose est difficile à tout âge … il y a au moins deux ans qu’il n’a pas mis les pieds à l’auberge ».
En ce qui concerne leur noblesse, il reconnaît que son père :
« fut renvoyé se pourvoir au parlement au désir de l’édit du Roi de 1768 comme il n’avoit pas eu connaissance de cet édit, il ne s’y étoit pas conformé. Car jusqu’à cette époque on n’étoit pas tenu à cela et pour preuve c’est que mon bisayeul qui n’était pas muni d’un tel arrêt étoit pensionnaire des états et avoit été honoré des commissions les plus délicates … l’arrêt qu’il a n’est pas par l’intendance, il est contradictoire avec les traitants et commissaires départis en Bretagne pour la poursuite des faux nobles… »
« M. de Perier…étant en Bretagne…avoit promis de demander un brevet de garde-marine pour moi .. mais rendu à Paris il oublia … il y avait un si grand nombre de jeunes gens qui briguaient ces places-là qu’on ne pouvoit pas les admettre tous. En effet ce n’étoit pas faute de noblesse puisqu’on avoit envoyé en cour une copie collationnée de mon arrêt, certifiée par quatre gentilshommes du pays qui étoient Messieurs de Kerret Keravel, Guichen, Pennélé et Kerscau et que j’obtins la dessus une commission de volontaire, commission dont les princes du sang et les plus grands seigneurs se tiennent fort honorés… »
LA SECONDE MAINTENUE
Pour mettre fin à toutes ces tracasseries fiscales et à toutes ces contestations et calomnies, Hervé de Coëtanlem de Rostiviec chargea son fils Pierre de recueillir les preuves authentiques de leur noblesse et de faire valoir leurs droits devant le Parlement de Bretagne à Rennes. Le 30 avril 1776, il fit dresser procès-verbal des armoiries, enfeux et prééminences appartenant aux Coëtanlem, dans la chapelle de Jésus à Saint-Melaine, dans l’église des Carmes et dans la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon, puis il partit pour Rennes avec tout le dossier et au mois de mai il présenta sa requête au Parlement. Cette procédure fut couronnée de succès par un arrêt du parlement de Bretagne daté du 23 août 1776 et signé L. C. Picquet, qui maintenait la famille Coëtanlem dans la jouissance de ses prérogatives nobiliaires, la déclarait noble d’ancienne extraction et l’inscrivait officiellement sur le catalogue des gentilshommes de la province avec le titre d’écuyer. Cet arrêt précisait leurs armes qu’avait déjà données Guy Le Borgne dans son armorial en 1667 : d’argent à la fleur de lys de sable, surmontée d’une chouette de même, membrée et becquée de gueule, et leurs devises : Germinavit sicut lilium et Florebit in aeternam ante Dominum . Madame Gaudin du Coudray pouvait enfin marier sa fille à un gentilhomme.
Dès l’accord des Etats du 8 octobre 1776, Pierre Joseph Jean de Coëtanlem, profitant des droits que lui restituait l’arrêt du 23 août, assista aux Etats de Bretagne qui eurent lieu à Rennes et y eut voix délibérative dans l’ordre de la noblesse. C’est dans cet ordre qu’il y assistera jusqu’aux derniers Etats de 1789.