L’ART HÉRALDIQUE

RAPPEL HISTORIQUE SUCCINCT

C’est dans un Moyen-Age en pleine mutation, la transmission à l’aîné des fils, l’apanage aux puînés, une période de conquêtes, d’alliances, de commerce, de présence, d’identité, que l’on affiche sa marque visuelle. On peut considérer la naissance de l’héraldique héréditaire, en Europe occidentale, fin de la première moitié du XIIe siècle, suivant certains sceaux.

Signe de reconnaissance dans les affrontements armés, les seigneurs et chevaliers casqués figurent leurs marques distinctives sur leur bannière, leur écu, ainsi que sur la housse de leurs chevaux.

Début XIIIe siècle, l’ensemble de la petite noblesse est pourvue d’armoiries.
• Seconde moitié du XIIIe siècle, les femmes aristocratiques en possèdent également représentées sur des sceaux, ce sont soit celles de leur père, de leur mère, de leur famille ou les armes de leur mari accolées. Les ecclésiastiques, les communautés civiles (villes), les bourgeois, les paysans, les communautés religieuses, les corporations… en adoptent.
• Au XIVe les armoiries héréditaires se généralisent, surtout par l’emploi du sceau pour les non-combattants.
• Fin XVe, grand développement des armoiries peintes, gravées ou sculptées, puisque progressivement le sceau est remplacé au bas des actes par la signature (excepté pour les monarques et les Institutions qui scellent les documents officiels).
• Avant le XVe, l’héraldique se limite à l’Europe chrétienne. Un million d’armoiries sont répertoriées, les trois-quarts sont des sceaux dont les deux­ tiers roturiers.
• Jusqu’à la fin du XVIe siècle la rigueur n’était pas toujours respectée dans la figuration, et même, certains modifiaient ou abandonnaient leurs armes pour en adopter d’autres.
• En 1696 Louis XIV décide le recensement de toutes les armoiries dans le royaume avec enregistrement, ceci dans un but fiscal, (les caisses de l’état en avaient grand besoin). C’est dans l’Armorial Général tenu par Charles d’Hozier, juge d’armes, que furent relevées jusqu’en 1709 environ 110 000 armoiries, dont certaines furent attribuées d’office (voir pl. 305).
• Période de la Révolution française, 1792, chasse aux armoiries à Paris et dans les villes, sur tous les monuments et objets, on gratte on efface, on fait disparaître toute présence d’armoiries.
Cet acharnement ne cessera qu’en 1795/1796.
• 1808 Napoléon rétablit les armoiries en créant la noblesse d’Empire. La hiérarchie napoléonienne comporte 5 degrés (princes, ducs, comtes, barons, et chevaliers) marqués par des ornements extérieurs à l’écu et à l’intérieur, la dignité ou la fonction de chaque possesseur (voir planches 188 à 191).
• 1815 Seconde Restauration, Louis XVIII abolit les décisions du Premier Empire, c’est la liberté des armoiries.
Et depuis en France, chacun peut faire usage des armes de son choix à une seule condition : ne pas usurper celles d’autrui.

LES SOURCES, LES ÉLÉMENTS HISTORIQUES.

La principale source provient des sceaux (pl.308-fig.1), mais ils n’ont pas le privilège de la couleur, dès le milieu du XIIIe siècle on commence à peindre sur des manuscrits et autres supports des écus armoriés. On rencontre également des marques distinctives sur divers objets, pièces d’orfèvrerie, tapisseries, vitraux, pierres tombales, objets de la vie quotidienne…
Et il y a les armoriaux. Ce sont des recueils d’armoiries peintes, gravées ou simplement décrites. Ces sources très précieuses se présentent sous différents aspects depuis le XIIIe siècle : il y a bien sûr de prestigieux armoriaux sur parchemin, français, étrangers et anglais en particulier ; des peintures murales, sous forme de frise, sur plafonds, sur verrières de monuments historiques, sur divers supports.

UNE OBSERVATION SUR QUELQUES ARMES CHOISIES

La naissance des armoiries dites héréditaires correspond, suivant les provinces à l’apparition des noms patronymiques adjoints aux prénoms et transmis par voie masculine (ce que l’on nomme filiation agnatique) entre le XIe et le XIIIe siècle. Cela permettait de mieux identifier chaque personne. Et sur l’ensemble nous constatons quelquefois une évidence entre le nom et le motif figurant sur l’écu. C’est ce que l’on appelle des « armes parlantes », où la symbolique et le rébus se mêlent (pi. 306). Pour certains, c’est le patronyme qui défini le nom de la figure dans la description. Exemple de confusion possible (pi.29o), un Mailly porte un maillet et Martel un marteau, visuellement les objets sur l’écu sont identiques, mais les descriptions sont différentes. Il y a également des « armes allusives », un Lesveillé figurera une grue debout, tenant dans sa patte levée une pierre pour éviter de s’endormir…

Attention, ces usages ne sont que partiels.
Le choix peut être déterminé pour de multiples raisons : par attribution, pour un fait particulier, en rapport avec une profession, une corporation, un ordre religieux, etc.

Sur un écu, aucun élément spécifique ne distingue un noble d’un roturier, un individuel d’un collectif, un masculin d’un féminin. Evidemment suivant leur fonction, certains pencheront pour un élément particulier. Le maçon sera plus sensible à ses instruments de travail, le fil à plomb, l’équerre, la truelle, ou son saint patron Pierre.., le chevalier, optera plutôt pour une arme, un lion pour sa force, alors que le religieux penchera pour un personnage sacré, un objet liturgique, un monument ecclésiastique…

Il faut être prudent à propos de la symbolique des éléments figurant sur l’écu. Que peuvent évoquer trois cercles jaunes ? la Trinité, la perfection, l’esprit-l’âme-le corps, le passé-présent-futur, les trois dimensions, l’auréole des saints, les cercles solaires, les pièces d’or, la richesse…
Et le lion ? le pouvoir, la domination, la force tranquille, la bravoure, l’énergie, la sagesse, la justice, le masculin, l’évangéliste saint Marc, le symbole de résurrection, le signe zodiacal…
Seul le possesseur créateur est maître de la signification.

LE GRAPHISME HÉRALDIQUE
INFLUENCÉ PAR L’ÉVOLUTION DU LIVRE

Initialement peintes à la gouache sur des recueils, les armoiries avaient des tracés géométriques sans trop de rigueur, des figures simplifiées et quelques teintes vives, parfois variables suivant les pigments.

Puis, la gravure sur bois, apparue courant XIVe, est de plus en plus présente dans les livres du siècle suivant. Cela se traduit par un dessin en noir et blanc au contour plus dur et sans nuance. On ajoute des détails. C’est l’époque où la gothique devient bâtarde, avec plus de rondeur et un oeil de lettre plus ouvert.

Fin XVe la gravure sur métal apparaît, d’abord en taille douce puis à l’eau forte. Le dessin s’affine de plus en plus, au XVIe on n’est pas avare de jolies courbes et de finesses. La représentation est plus rigoureuse, les détails deviennent des éléments importants et doivent être décrits. Certaines armoiries se compliquent avec le cumul des alliances.

Période de la Renaissance, c’est l’abandon de la lettre gothique, les imprimeurs utilisent des caractères de style romain, insèrent les clichés et publient en noir et blanc. Jusqu’à la fin du XVIIIe, la finesse du style dans l’exécution des armoiries s’harmonise avec la composition typographique environnante.

Début XIXe un nouveau procédé d’impression apparaît : la lithographie. On dessine directement sur une pierre plane, surface satinée semblable à un papier. L à, l’artiste est plus libre dans le mouvement de la main, l’exécution est moins fastidieuse et plus rapide que de graver une plaque de métal.

Au XXe siècle, la technique perd de son influence, l’artiste affirme sa personnalité dans ses réalisations d’armoiries, et au XXIe siècle, l’exécution vectorielle sur ordinateur remplace le crayon et le pinceau mais manque souvent d’originalité et donne des illustrations aux allures parfois rigides.

L’HÉRALDIQUE D’AUJOURD’HUI

Bien sûr, c’est la période médiévale entre le XIIIe et le XVe que certains héraldistes appellent « le bel âge de l’héraldique », au regard des premiers documents pour leur simplicité dans le choix des sujets et peut-être aussi pour une certaine spontanéité dans leur exécution.
Et pourtant, les armoiries n’ont jamais été figées et n’ont cessé d’être présentes tout au long des siècles avec un ajout constant de figures et de termes.
Aujourd’hui elles doivent être accessibles à tous et non le domaine réservé à quelques spécialistes historiens qui trop souvent fige le blason dans une narration d’exposés, d’analyses où l’illustration devient secondaire. Les symboles héraldiques figurés sont devenus des références beaucoup plus larges, utilisés par toutes les nations comme repère social, les régions, les villes, les sports, les médias, l’industrie, soucieuse de son « image de
marque » (le lion ou le cheval fougueux des constructeurs automobiles par exemple).

POUR CONCLURE
Tout au long de son histoire, le dessin héraldique s’est modifié, il s’est épuré, enrichi, selon certains auteurs il a pris un caractère particulier, influencé par les procédés de reproduction, le support sur lequel il figure, le talent des artistes, les événements historiques, les modes et les erreurs parfois. On peut constater pour une même armoirie une grande diversité d’interprétations dans le graphisme et dans les éléments qui la composent (pi .308).

Je veux simplement attirer votre attention sur ces armoiries non figées, parfois sur la prudence de sa lecture et de son interprétation, mais surtout sur son esthétique qui attestent de façon si particulière l’identité.