LES ASSEMBLÉES DE LA NOBLESSE EN 1789 DANS LA PROVINCE DU LIMOUSIN
Extrait de l’ouvrage
Face à la situation catastrophique des finances publiques et à la fronde d’une partie des corps constitués, Louis XVI renvoya Brienne, rappela Necker et, par un arrêt du Conseil d’état daté du 5 juillet 1788, convoqua les États généraux pour le 1° mai 1789. Depuis deux ans Paris et certaines provinces s’agitaient et les émeutes y étaient mollement réprimées. Le Limousin était encore épargné par les mouvements violents mais l’opinion travaillée par une abondance de brochures et de libelles s’y habituait comme ailleurs aux idées révolutionnaires. La subversion préparait l’insurrection. La réunion d’une assemblée provinciale à Limoges en 1787 n’avait été qu’un feu de paille, elle ne tînt qu’une seule séance. Mais il existait dans la région une volonté diffuse de desserrer l’étau de l’administration royale. Fin 1788 une ligue de la noblesse de Guyenne, à laquelle adhérait certains Limousins, réclamait la reconstitution du duché d’Aquitaine avec des États généraux souverains. Ce projet autonomiste rencontrait quelques échos au sein du tiers-état et opposait les notables locaux aux fonctionnaires royaux. Il n’était pas oublié au moment de la convocation des Etats Généraux.
Le règlement du 24 janvier
Le règlement du Roi sur la convocation des États généraux fut promulgué le 24 janvier 1789. Il constitue la base de toute l’histoire de la convocation et tous les textes postérieurs s’y réfèrent. L’article premier charge les gouverneurs généraux de province de transmettre aux grands sénéchaux les lettres royales et autres pièces relatives à la convocation. L’article II distingue les sénéchaussées principales, où se tiendront les assemblées, des sénéchaussées secondaires qui n’auront pas cet honneur. Limoges est sénéchaussée principale pour le Haut-Limousin, Tulle pour le Bas-Limousin, Saint Yrieix est secondaire de Limoges, Brives et Uzerche sont secondaires de Tulle.
Qui doit comparaître avec la noblesse ?
Faute d’un catalogue de la noblesse, dont la réalisation envisagée depuis Colbert ne sera jamais réalisé, la réponse est difficile. Les articles XII et XVI relatifs à la noblesse ne sont pas clairs. Le premier prévoit l’assignation de tous les nobles possédant fiefs. Le second stipule que tous les nobles non possédant fiefs ayant la noblesse acquise et transmissible peuvent participer personnellement aux assemblées, mais non s’y faire représenter. En première lecture, il semble que le rédacteur ait voulu se montrer moins exigeant à l’égard des possesseurs de fiefs. Mais cette interprétation contredirait un droit, constant depuis plus de deux siècles, qui dissocie la noblesse de la possession des fiefs. Le texte devient plus compréhensible si l’on distingue l’assignation de la comparution. L’assignation est établie à partir d’un état des fiefs dont les propriétaires sont supposés nobles, mais dont l’administration ne connaît pas toujours le statut exact, car nombre d’entre eux résident hors de la province. La comparution en revanche est réservée à la noblesse achevée (désignée comme acquise et transmissible). Plusieurs grands sénéchaux indécis quant à l’interprétation à donner au règlement écrivirent à Charles Louis Barentin, garde des sceaux, pour lui demander des précisions. Le duc de Crillon fit valoir que le règlement de convocation n’exigeant pas la noblesse acquise et transmissible » on présume que les anoblis possédant fiefs doivent être convoqués « . La réponse de Barentin est formelle : » les uns et les autres pour s’unir à l’assemblée du bailliage, doivent avoir la noblesse acquise et transmissible « . Dans le même esprit il opposa une fin de non-recevoir à la réclamation des Trésoriers de France de Poitiers qui se plaignaient de ne pas être admis à voter avec la noblesse. L’ensemble des réponses du Garde des sceaux aurait pu constituer une jurisprudence susceptible d’éclairer les sénéchaussées mais les courts délais impartis pour la convocation ne permirent pas de travailler avec rigueur. Afin de gagner du temps l’article 42 du règlement du 24 janvier prévoyait que : » S’il s’élève quelques difficultés sur la justification des titres et qualités de quelques uns qui se présentent pour être admis dans l’ordre de la noblesse, les difficultés seront décidées provisoirement par le Sénéchal, sans que la décision puisse servir ou préjudicier dans aucun cas. » A Limoges, le Grand Sénéchal, usant de la latitude qui lui est ainsi accordée admet les trésoriers de France mais cette décision sera contestée par plusieurs membres de l’ordre.La vérification des titres effectuée en quelques heures lors de la première séance, à Limoges comme à Tulle, fut superficielle. Comme au temps jadis, nobilitas est per solam famam . Pour cette raison la comparution aux États généraux avec la noblesse ne constitue pas une preuve de noblesse, au sens strict, tout au plus une présomption. Les femmes, veuves ou filles possédant fiefs, ainsi que les mineurs peuvent se faire représenter en donnant procuration à un membre de l’ordre présent. Chaque noble, présent ou représenté, ne dispose que d’une seule voix dans chaque sénéchaussée. Mais, en dépit de la position exprimée par le Garde des sceaux, qui lie le vote à la résidence et au paiement de la capitation, convoqué en plusieurs sénéchaussées, pour des fiefs différents, il dispose d’un droit de vote dans chacune d’elle; nous en avons maints exemples.
Les assemblées de la noblesse
La participation aux États généraux représente la dernière occasion pour la noblesse d’agir en corps constitué. La composition des assemblées donne donc l’ultime image de la composition du deuxième ordre avant sa disparition. Les familles nobles qui s’abstinrent de comparaître, ou de donner procuration, furent rares, car cette absence aurait pu par la suite être invoquée contre elles et tenue pour une renonciation à leur qualité.A Limoges la noblesse se réunit sous la présidence de Messire Claude Etienne Annet, comte des Roys, ancien capitaine de cavalerie, baron des Enclos, sgr de Chandelis et de Saint Cyr, grand sénéchal du Haut-Limousin. Le Garde des sceaux avait fait savoir au Marquis du Saillant que : » quoique pourvu de la charge de grand sénéchal du Haut et Bas-Limousin, n’étant pas reçu, il ne pouvait ni convoquer la noblesse ni la présider « . Le comte des Roys fut assisté par: Guillaume Grégoire de Roulhac, écuyer, sgr de Laborie et de Faugeras, conseiller du Roi, lieutenant général de la sénéchaussée et siège présidial de Limoges; Pierre Lamy, écuyer, sgr de La Chapelle, procureur du Roi au siège présidial de Limoges; Jean Baptiste Boysse de La Maison-Rouge, conseiller du Roi, greffier en chef. Les séances se tinrent dans » la grande salle des exercices du collège « .Furent présents ou représentés : 181 nobles possédant fiefs, 24 nobles sans fief, 2 prêtres et 46 femmes possédant fiefs. Défaut fut donné contre 33 nobles. A Tulle également la présidence des assemblées fut refusée aux Lasteyrie du Saillant et accordée à Adrien Jean Élisabeth, baron de Lubersac, capitaine de dragons, reconnu comme exerçant les fonctions de grand-sénéchal du Bas-Limousin. Il fut assisté par: N. de Fénis de Laprade, écuyer, président du Présidial, secrétaire de la noblesse et Antoine de Lafagerdie, sgr de Saint Germain, écuyer, conseiller au parlement de Bordeaux (?). Les séances se tinrent dans la salle des Théatins, du 17 au 23 mars.Furent présents : 136 nobles, possédant fiefs ou non ; furent représentés 110 nobles, un prêtre et 31 dames possédant fiefs.Le règlement du 24 janvier stipulait que : » Le Roi appelle au droit d’être élus pour députer la noblesse tous les membres de cet ordres indistinctement, propriétaires ou non propriétaires. Furent élus comme députés de la noblesse aux États généraux:à Limoges: Louis François Marie de Perusse, comte des Cars et de Saint Bonnet… premier baron du Limousin… Maréchal de camp, commandant la province du Haut et Bas-Limousin, premier maître d’hôtel du Roi; le vicomte de Mirabeau, colonel du régiment de Touraine-infanterie; le Comte des Roys, sénéchal du Haut-Limousin, comme suppléant.à Tulle: Etienne François Charles de Jaucen, baron de Poissac, conseiller au parlement de Bordeaux (par 144 voix contre 121 au duc d’Ayen après une campagne électorale agitée); Gilbert Hyacinthe Scolastique, vicomte de Laqueuille, major au régiment de Picardie-cavalerie; Louis Maurice Joseph, comte de Lentilhac de Sédières, comme suppléant.Les mandats donnés aux députés en mars 1789 étaient des mandats impératifs qui imposaient aux élus leurs votes à l’assemblée et les empêchaient de trahir leurs électeurs. Un règlement du 27 juin 1789 interdit cette sage précaution et les nobles du Limousin se réunirent une seconde fois le 26 juillet pour voter, à contre cœur, des pouvoirs illimités à leurs députés.
Les membres de la noblesse présents ou représentés
Les noms des participants à l’assemblée de Limoges sont connus par le procès-verbal des séances, conservé aux archives nationales, qui les désigne de façon complète avec tous leurs prénoms, titres, seigneuries, grades militaires et charges. Les procurations sont conservées aux archives départementales. A Tulle il est plus difficile d’identifier les comparants car nous ne possédons que leur signatures sur le cahier de doléances en mars et sur les nouveaux pouvoirs donnés aux députés en juillet 1789 mais les personnes ayant données procuration sont bien connues car leurs procurations, très complètes, établies devant notaire, sont conservées aux archives de la Corrèze.Les listes qui suivent ont été dressées à partir de l’ouvrage de Louis de La Roque et Édouard de Barthélémy, publié en 1863, elles ont été classées par ordre alphabétiques pour faciliter les recherches, complétées, et rectifiées pour quelques orthographes à partir des documents conservées sous les références: AN Ba 84 BIII 73 2, AD 19 3F 26, AD 87 B 537, AD 19 B 955-956. Les notices ont été allégées des renseignements non essentiels pour l’identification, en particulier des qualifications nobiliaires. Notons que l’emploi de celles-ci n’est pas systématique quand le comparant a d’autres titres à faire valoir, en particulier des grades militaires. Ces omissions ont elles un sens? La question mériterait une étude particulière à laquelle je ne me suis pas livré. Nous recensons 546 personnes qui ont participé, ou qui auraient pu participer, aux assemblées de la noblesse en Limousin. Le nombre de familles est moindre car la plupart d’entre elles sont représentées par plusieurs de leurs membres. Nous découvrons dans ces listes la présence de noms qui ne sont apparus dans aucun des chapitres précédents, il s’agit en général de possesseurs de fiefs n’ayant pas leur principal établissement en Limousin, ou de nouveaux venus dans la province.Si, tenant compte de l’augmentation de population de la province et du mode différent de convocation, nous rapprochons ce chiffre des 206 comparutions à la convocation du » ban et arrière-ban » de 1470, nous constatons que l’inflation nobiliaire a été réduite sinon nulle. En revanche, il semble que, par le jeu des migrations, des extinctions, des dérogeances et des anoblissements, la population noble se soit renouvelée à plus de 90% en trois siècles.