LES DÉBOUTÉS LORS DES RÉFORMATIONS DE LA NOBLESSE DE BRETAGNE (1668-1671)

Pour des raisons essentiellement fiscales, l’administration de Louis XIV décida de fixer la liste des familles de la vraie noblesse, et comme telle exemptes de certains impôts. La vérification eut lieu en Bretagne entre1668 et 1671, et fut confiée à une chambre composée de parlementaires dont la liste est la suivante (entre parenthèses, le nombre de dossiers de déboutés traités) :

Jacques Barrin, sieur de Boisgeffroy, (6)
Maurille de Bréhand (38)
François Denyau (54)
Joachim Descartes, sieur de Chavagnes, (42)
Jacques Huart, sieur de Beuvres (33)
Louis de La Bourdonnaye de Coëtion, (43)
Louis de Langle de Kermorvan (22)
Vincent-Exupère de Larlan (30)
Nicolas Le Feubvre de La Falluère (15)
François Le Febvre de Laubrière (mort en 1668)
Jean-Claude Le Jacobin (62)
Guy de Lesrat, (14)
René de Lopriac (15)
René de Poix, sieur de Fouesnel (mort en 1669)
Guillaume Raoul de La Guibourgère (15)
Jean Saliou, sieur de Chefdubois (36)

Établie à partir de plusieurs manuscrits originaux, cette liste recense les familles qui ont été condamnées à 400 livres d’amende pour usurpation de noblesse. La sentence pouvait paraître un peu sévère quand on sait que dans certaines familles, une branche était maintenue et l’autre non. Nombre de ces déboutés le furent faute d’avoir pu produire les pièces nécessaires compte tenu de l’exigence d’un délai précis, la chambre n’ayant travaillé que pendant une durée limitée, c’est à dire à peine trois ans : « Plusieurs nobles qui étaient dans le cas d’être maintenus ne purent point parvenir à l’être dans l’espace de 3 années ; les absences, les minorités, les difficultés de recouvrer aussi en peu de temps les titres égarés en purent être la cause légitime… ».
Il faut aussi mentionner les pertes et destructions d’archives, les frais de déplacement pour se les procurer, les frais pour se faire délivrer des extraits, tels que les extraits de la chambre des comptes de Nantes, les archives retenues par une autre branche de la famille, etc….

Face à une situation et à l’urgence, la tentation de fabriquer des faux était forte : En dehors des cas de faux patents, signalés en début de manuscrit et sévèrement réprimés par de lourdes amendes, voir dans les cas extrêmes par un bannissement « Guy Gillet, sieur de Cramaignan, demeurant paroisse de la Meilloure, évêché de Saint-Brieuc, banni à perpétuité de la province pour avoir fabriqué faussement un acte », les déboutés n’étaient pas les seuls à produire des faux : ainsi Alain Bouais, de Cancale, est maintenu « et néanmoins condamné à 190 livres d’amende au Roi et 50 livres d’aumônes pour actes faux par lui qui sera lacéré en audience… »

Mais le déboutement n’était jamais définitif : il n’était que provisoire et suspensif, jusqu’à ce que la preuve contraire soit apportée. Nombreuses seront les familles qui feront régulariser leur situation, soit par la chambre elle-même, soit par l’intendance. A défaut, tous les moyens furent utilisés pour laver cette humiliation : achat de charges anoblissantes et de lettres de noblesse.

Cette liste a enfin et surtout le mérite de nous donner un »instantané » de la « Gentry » bretonne sous Louis XIV. La plupart de ces familles étaient en voie d’acquisition de la noblesse par prescription, vivant et partageant noblement, bien alliées, tacitement reconnues par leur groupe social, mais ne possédant aucun titres valables. Cette réformation va freiner dangereusement le passage de la bourgeoisie à la noblesse, rigidifiant ainsi les structures sociales, excitant les rancœurs et préparant ainsi le terreau des sociétés de pensées (chambres de littérature, de politique, chambres d’agriculture…) qui auront un rôle non négligeable à la veille de la révolution.
Ces listes, recopiées en plusieurs exemplaires, poursuivaient probablement néanmoins un même but, moins avouable : circuler sous cape dans les salons bretons, pour le plus grand plaisir de ceux qui avaient pu obtenir ces fameuses maintenues.