LES PREUVES DE NOBLESSE DES CHEVALIERS DE MALTE
Pour devenir chevalier de Malte il fallait prouver que ses bisaïeuls paternels et maternels étaient des gentilshommes de noms et d’armes et que leur descendance était aussi de nom et d’armes. On entendait par gentilhomme de nom et d’armes une personne née avec nom et armes nobles, par conséquent il fallait que les bisaïeux soient nés de pères nobles, et ainsi prouver la noblesse des trisaïeux. La descendance des trisaïeux ne devait pas avoir dérogé, avoir toujours vécu noblement et joui de tous les privilèges de la noblesse. Si pour un des trisaïeux on ne faisait pas preuve par titres honorifiques des 116 ans de noblesse, il fallait remonter jusqu’au quadrisaïeul et trouver pour lui une preuve de noblesse claire et authentique. En ce qui concerne la noblesse, au moyen-âge, toutes les attestations de noblesse du présenté se résumaient à faire mention des noms de son père et de sa mère, qu’on supposait être issu de gentilshommes de nom et d’armes. Mais au fil des temps, les familles nobles durent se résoudre à épouser des roturières pour des raisons d’argent. La réaction de l’Ordre ne se fit pas attendre, il dut mettre au point un règlement des preuves de noblesse, par lequel il fut ordonné qu’il soit dressé un procès-verbal, soutenu par des titres écrits, afin d’établir la légitimation et l’ascendance, et la noblesse de nom et d’armes du présenté.
Ne pouvait être reçu chevalier aucune personne née hors légitime mariage, excepté les enfants des rois et des princes souverains, à l’exception de tous autres fils illégitimes mêmes des ducs et pairs de France et des Grands d’Espagne. De plus, ne pouvait devenir chevalier de Malte aucun descendant de Juifs et de Musulmans, et le fait de professer la religion catholique était une obligation.
Et il fallait suivre la procédure suivante :
L’impétrant devait se présenter en personne au Chapitre ou l’assemblée provinciale du Grand-Prieuré, dans l’étendue duquel il était né, en cas de demande d’admission de majorité, ou bien en cas d’admission de minorité ou comme page il était représenté par son père ou sa mère en cas de veuvage. Il devait être porteur de son acte de baptême, du mémorial de ses preuves littérales contenant les extraits des titres qui justifiaient sa noblesse et celle des quatre familles du côté paternel et maternel, c’est à dire jusqu’au bisaïeux, et ce uniquement lorsque la noblesse du nom paternel et maternel n’avait pas encore été prouvée à Malte, car alors il fallait avant de demander des commissaires au chapitre et avoir envoyé à Malte et à la vénérable langue un inventaire des titres dont prétendait se servir le présenté. Ce mémorial généalogique coûtait fort cher aux familles. Même quand le prétendant avait eu un ou plusieurs oncles reçus chevalier de Malte, leurs preuves ne lui suffisaient pas pour sa propre réception. Par contre il arrivait souvent que par grâce spéciale l’on reçoive un prétendant sur les preuves de son frère, en prouvant qu’il était frère légitime de père et de mère et qu’il était né dans les limites du Grand prieuré où il désirait être reçu. Pour cela il fallait tout de même que le prétendant présente son acte de baptême et un certificat de deux chevaliers profès certifiant le lien de parenté, et qu’il ait payé le droit de passage.
Les preuves littérales étaient tirées de titres écrits, tels les contrats de mariage et testaments que le présenté produisait. Mais ces titres ne suffisaient pas à prouver la noblesse, car les qualifications des personnes dans les actes notariés n’étaient pas vérifiées par le notaire, dont ce n’était pas le métier. Il fallait avoir recours aux partages de terres nobles, aux actes de tutelle, lettres de garde-noble, aux actes de foi et hommage, aux aveux et dénombrements, aux brevets et provisions de charges portant titre de noblesse, aux convocations aux bans et arrière-bans, les lettres de noblesse dûment vérifiées et enfin aux inscriptions funéraires. Certains impétrants afin de mieux appuyer leurs preuves de noblesses officielles, faisaient appel aux confréries nobles du royaume, dont celle de Saint-Georges en Franche-Comté, que j’ai étudié, et qui avait les mêmes exigences en matières de noblesse que l’Ordre de Malte. Voici un certificat délivré par cette confrérie pour Charles-Antoine de POLIGNY :
« Nous chevaliers de l’Ordre de Saint-Georges au comté de Bourgogne, scavoir faisons et certifions à tous que les maisons de Poligny et Montrichard-Fertans sont très nobles et très anciennes de noms et d’armes et qu’en cette qualité, elles ont été jurées et reçues audit Ordre tant de leur chef que par alliance à diverses fois et à divers temps nommément en la personne de Messire Claude de Poligny, l’an mil six cent vingt cinq, de messire Philibert de Poligny, l’an 1648, de messire Jean-Claude de Poligny, l’an 1654 ; …. . Personne n’étant admis et reçu audit Ordre que par la preuve de 16 ascendants nobles et non anoblis de leur chef et que nous avons ainsi déclaré et certifié pour bien de justice à la requête de Dame Dame Claude-Etiennette Jacques de Nans… (ADR, 48 H 93)
Ces preuves si elles étaient approuvées devaient être envoyées cachetées au chapitre, et ensuite remis au commissaire in partibus, lesquels ne pouvaient ni ne devaient pas travailler aux preuves qu’on ne leur avait remis un tel dossier approuvé, a moins d’avoir établi clairement que les noms du père et de la mère avaient déjà été prouvés à Malte. En effet si un des noms avait déjà été prouvé à Malte, il ne fallait faire que l’inventaire des preuves de la famille non prouvée. Le but de ce dossier était de prouver la filiation légitime et noble jusqu’à tous les trisaïeux paternels ou maternels, depuis 116 ans au moins comme il était d’usage dans la Langue d’Auvergne. Outre ces pièces, le candidat était tenu de fournir son arbre généalogique d’ascendance armorié en couleurs dressé à partir des preuves, sur 4 ou 5 générations. Il est bon de signaler que tous les candidats pouvaient solliciter une dispense que ce soit d’âge ou de preuves de noblesse auprès du pape par un bref ou auprès du chapitre général de l’Ordre, entérinés par le Sacré Conseil.
Puis des commissaires étaient désignés parmi les commandeurs et chevaliers qui devaient avoir au moins 10 ans d’ancienneté dans l’Ordre et cinq ans de résidence à Malte. Ils avaient un mois pour accomplir leur mission à partir de la date de leur nomination. Ils ne devaient pas être de la même région que le présenté ni être un de ses parents ou alliés. Ils étaient chargés de faire des enquêtes sur d’autres preuves. Toutes les preuves devaient se faire non seulement dans le lieu de la naissance du présenté, mais même dans les lieux de l’origine des diverses familles du père, de la mère et des aïeux, sinon elles étaient rejetées et devaient être refaites, et aux dépens des commissaires qui avaient commis l’erreur. Si une des familles se trouvait être trop lointaines à l’intérieur de la langue d’Auvergne pour que les témoins désignés les connaissent, il fallait se rendre dans la province d’origine de cette famille. Si une des familles se trouvait hors de la langue d’Auvergne, il fallait demander au chapitre une lettre rogatoire pour le prieuré d’où était originaire la famille, afin qu’il désigne des commissaires pour faire les preuves et ensuite en envoyer le procès-verbal au chapitre où se faisait recevoir le présenté, pour y être examiné. Les commissaires ne devaient pas loger et manger dans la maison du prétendant ou d’un parent de celui-ci lors de leurs enquêtes. Ces enquêtes se faisaient au frais du prétendant, ainsi que les voyages des commissaires et de leur secrétaire.
Preuves testimoniales :
Ces preuves résultaient du témoignage de quatre témoins nobles, qui devaient être gentilshommes de nom et d’armes. Les commissaires, qui étaient ordinairement des anciens commandeurs, leur faisaient prêter un serment solennel de dire la vérité, et ils interrogeaient les témoins séparément. Le problème avec ce genre de preuve en France était que les témoins étaient choisis par les présentés ou ses parents. Ces témoins étaient interrogés séparément les uns des autres à partir des questions du formulaire établi par la langue d’Auvergne. les questions étaient les suivantes :
1 – Quel nom a ledit présenté ?
2 – De qui il est le fils ?
3 – Quel âge il a ?
4 – Où il est né et baptisé, & en quel évêché
5 – Et s’il est né dans les limites du Grand Prieuré d’Auvergne ?
6 – S’il est né en légitime mariage ?
7 – Et de parents aussi légitimes ?
8 – S’il est de la religion Catholique, Apostolique et Romaine
9 – Si ses père & mère, ancêtres en sont et en ont été ?
10 – Si lui ni ses parents ne descendent pas de race des Juifs, Mahométans, ou Sarrasins ?
11 – S’il vit vertueusement et chrétiennement ?
12 – S’il n’a point commis quelque crime ou été repris de justice ?
13 – Si lui ou ses parents ne retiennent aucuns biens ou droit de notre Ordre ?
14 – S’il n’est point débiteur de sommes considérables qu’il ne puisse payer ?
15 – S’il est sain, fort et robuste pour rendre service à notre Religion ?
16 – S’il n’a point fait vœu en quelque religion, contracté ou consommé mariage ?
17 – S’il est gentilhomme de nom et ‘armes, et issu de père et mère, aïeux & aïeules, bisaïeux et bisaïeules, tant paternels que maternels, nobles et vivant noblement, gentilshommes de nom et d’armes, tels tenus & réputés au pays & jouissant des privilèges de noblesse du moins depuis cent seize ans ?
18 – Si ses parents ont toujours été appelés aux bans et arrière bans & autres assemblées de gentilshommes ?
19 – S’ils ont eu des charges et dignités qui ne se donnent qu’aux nobles ?
20 – S’ils n’ont point dérogé à leur noblesse par quelques marchandises, trafic, ou tenant banque, & ayant compagnie ou société avec des marchands ?
21 – Et s’ils sont sujets à aucuns impôts & subsides des rois et princes qui n’ont été & ne sont payés que par les roturiers.
22 – Enfin s’il est tel que pour être chevalier de notre Ordre, les statuts & ordonnances le veulent et requièrent.
On leur relisait la déposition afin de savoir s’ils persistaient, ils signaient et mettaient leur cachet.
Preuves secrètes :
Ces preuves se faisaient après les preuves testimoniales et à l’insu du présenté, et faisaient appel à quatre témoins choisis par les commissaires et qui n’avaient pas à être nobles, mais faire preuve de leur probité, ne pas être domestique, ni parents, ni alliés, ni même débiteurs du présenté et avoir un certain âge. Le but de ces preuves était de déterminer la filiation légitime et la noblesse du prétendant, mais aussi de corroborer les affirmations des preuves testimoniales.
Preuves Locales :
Ces preuves étaient destinées à la vérification des armes, des qualités des ancêtres du présenté par les monuments publics, épitaphes, documents anciens, livres d’Histoire, Armoriaux, etc. Mais il est bon de signaler qu’elles étaient considérées comme accessoires et non indispensables, les commissaires s’en dispensaient généralement.
A l’issue de ces enquêtes, les commissaires en dressaient procès-verbal qui était porté au chapitre du prieuré ; puis dans les mains de deux autres commissaires qui examinaient si toutes les règles prescrites par le Statut avaient été observées. Dans ce procès-verbal les commissaires exprimaient leur avis sur les preuves, s’ils les admettaient comme suffisantes, ou s’ils les rejetaient, voire s’ils avaient des doutes. En effet, s’il y avait un quartier dont la filiation légitime ne leur paraissait pas suffisamment prouvée, mais sans qu’il y ait soupçon de roture ou de dérogeance, ils pouvaient demander des preuves plus convaincantes. Chacun des commissaires pouvait émettre son propre avis. Puis, le chapitre de la langue examinait le dossier, entendait les commissaires, et se prononçait sur l’acceptation des preuves comme » bonnes et valables « , et pouvait décider d’un complément d’enquête ou refuser les preuves, sur les recommandations des commissaires. Après cet examen et avis, un exemplaire du procès verbal accompagné de l’arbre généalogique armorié était envoyé à Malte, et un autre était gardé dans les archives de la langue, les familles pouvaient aussi en demander un exemplaire. Après cinq ans passés dans l’Ordre, on ne pouvait plus faire de procès à un chevalier sur son état, sa réception ou son ancienneté.
Toutes ces démarches n’étaient pas gratuites, loin s’en faut. En effet, les frais de réception des chevaliers de majorité étaient à la fin de l’Ancien Régime de 3155 livres, dont 2325 pour le droit de passage, 30 de quittance et 800 pour le généalogiste de l’ordre et les commissaires aux preuves. Pour ce qui était des pages, ces frais se montaient à 3185 livres, dont 2325 de droit de passage, 30 pour la quittance, 30 pour les lettres de page et 800 pour le généalogiste et les commissaires. Enfin pour les chevaliers de minorité, ils étaient de 7374 livres, dont 6200 de droit de passage, 74 de quittance et accessoires, 300 pour le bref de minorité, 400 pour le généalogiste et 800 pour les commissaires.
Contrairement à certains usages encore en vigueur, on ne peut qualifier de chevalier de Malte qu’une personne dont les preuves ont été trouvées bonnes et valables par le chapitre de la langue concernée, en effet le paiement du droit de passage, ou un bref de minorité ne suffisaient pas pour être qualifié de chevalier de Malte. (…)