LE PRINCE AUX XVIe et XVIIe SIECLES

GENDRE, X.

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Le livre de Xavier Gendre qu’on va lire est remarquable par son objet direct : le passage du prince miroir au prince souverain. Ce passage est en effet l’une des clés fondamentales pour rendre compte de la constitution de la pensée politique renaissante et moderne.

L’ouvrage s’ouvre sur un examen de l’origine de la métaphore du miroir depuis l’Antiquité grecque et sa reprise au Moyen Âge par des auteurs chrétiens qui en reprennent le sens moral et lui donnent un sens doublement politique : à la fois miroir au prince de l’idéal qu’il doit atteindre en termes de vertus morales, politiques et religieuses et miroir du prince à ses sujets qui doit servir à fournir l’image du bon gouvernement auquel l’obéissance est due. Ce miroir des princes a prévalu dans les théories politiques du haut Moyen Âge au xive siècle et même encore au xve siècle. Mais, il se trouve remis en cause radicalement avec l’œuvre de Machiavel. Celui-ci, dans Le Prince, brise ce miroir qu’il tient pour une œuvre de l’imagination et entend revenir à la vérité effective de la chose politique. Or, cette vérité effective est absolument opposée au supposé miroir, elle est faite de rapports de forces, de violence, de ruse et même de cruauté. En outre la vertu propre au prince n’a rien à voir avec les vertus morales, elle est de l’ordre de la vaillance, de la capacité à maîtriser la fortune, de la mise en œuvre des procédures et d’actions, même les plus immorales pourvu qu’elles permettent l’acquisition et la conservation du pouvoir. Avec Machiavel le miroir des princes est mis en miettes. Cela ne veut pas dire que le genre qui en relève disparaisse, on le retrouve avec quelques infléchissements chez Érasme, en particulier dans son Institutio principis christiani, et plus généralement dans le genre des Institutions qui se développe à sa suite au xvie siècle, en particulier chez Guillaume Budé et chez d’autres. Mais désormais le miroir relève plus d’un traité d’éducation du prince par la présentation de l’idéal qu’il doit atteindre en tant que prince chrétien. Cependant, une autre rupture intervient dans l’histoire de la pensée politique et en particulier 12dans la représentation du prince. C’est, en effet, cette fois une théorie juridico-politique de la République. C’est ici la notion de souveraineté, élaborée par Jean Bodin, qui joue un rôle fondamental. Ce qui est en jeu avec l’idée de souveraineté, c’est tout à fait autre chose que les vertus du prince : la structure sans laquelle aucune république ne pourrait subsister. À une théorie des vertus du prince se substitue une considération des droits et des signes de la souveraineté. Ce qui ne veut pas dire que l’idée du bon gouvernement disparaisse mais la conception qu’en donne Bodin se situe sur le plan institutionnel à travers la distinction entre la monarchie royale, la monarchie seigneuriale et la tyrannie.

La théorie bodinienne de la souveraineté est radicalisée par Hobbes. À juste titre Xavier Gendre souligne le fait que la figure du prince disparaît de sa théorie politique (bien que l’on ait à plusieurs reprises cherché à reconnaître Cromwell dans le frontispice du Léviathan). En effet le problème n’est pas tant chez Hobbes le souverain ou le prince que la souveraineté. Le souverain n’est que le porteur de la souveraineté : la distinction entre la personne publique et la personne privée du souverain accorde une place beaucoup plus importante à la première. Certes, il y a encore chez Hobbes la question du moins implicite du bon gouvernement. Mais elle s’élabore à travers une théorie des fonctions du souverain (faire de bonnes lois, c’est-à-dire des lois utiles pour le peuple, ne pas commettre d’actes injustes, c’est-à-dire contraires aux lois de nature, développer l’éducation des citoyens, etc.), mais ce n’est jamais une théorie des vertus. L’essentiel pour le souverain est de connaître et se conformer aux exigences de l’art politique, c’est-à-dire de conduire l’État de telle sorte que celui-ci puisse se maintenir et ne pas sombrer dans la guerre civile.

À la suite de Machiavel, mais sur un autre registre (d’ailleurs complémentaire) Bodin et Hobbes semblent avoir rendu caduque la théorie théologico-politique du miroir des princes. La modernité politique est ainsi ouverte par une considération réaliste de l’exercice du pouvoir et par une définition institutionnelle de l’État. Cependant, il ne faudrait pas croire que la théorie des vertus idéales du prince se soit dissoute, elle se maintient dans un nombre considérable de traités politiques au xviie siècle, selon deux courants. Le premier et le plus important est celui de la raison d’État. Il s’agit d’un courant inauguré par le texte de G. Botero dans Della Ragion di Stato à la fin du xvie siècle. Botero 13n’invente pas l’expression « ragion di stato » mais il en constitue un traité à part entière. Il y a un point décisif à noter sur ce plan. Le courant des théories de la raison d’État est un courant de pensée radicalement opposé à Machiavel. L’antimachiavélisme de ce courant est bien souligné par Xavier Gendre. C’est que les doctrines de la raison d’État trouvent leur principe dans le Concile de Trente. Il s’agit en somme de s’opposer à l’antichristianisme de Machiavel. Pour celui-ci le christianisme était une religion d’esclaves, incapable de soutenir la liberté ou de développer le sens de la partie, comme le faisaient les religions antiques. Contre cette thèse insupportable pour l’Église, celle-ci a suscité un courant de pensée politique dans lequel il serait possible de montrer que le catholicisme a une dimension politique, mieux, qu’il est en mesure de permettre aux États non seulement de se préserver des troubles intérieurs (car la religion est le plus sûr fondement de l’obéissance) mais de vaincre ses ennemis, en particulier les Turcs. On voit donc se développer dans les théories de la raison d’État (Ammirato, Bonaventura, et des dizaines d’autres auteurs) une conception des vertus du prince, qui reprend le modèle des miroirs médiévaux et renaissants, mais en change le sens. La dimension théologico-politique demeure : il s’agit pour le prince de se soumettre aux enseignements de l’Église et sa principale vertu doit être de suivre la religion. Mais en même temps, se développe dans ces théories une conception de la rationalité politique qui n’a aucune dimension théologique. À cet égard, les questions concernent centralement la manière de gouverner l’État pour maintenir sa domination sur le peuple. Se trouvent ainsi abordées les questions du développement de l’industrie et du travail, la chasse à l’oisiveté et à l’incroyance, le développement de la population et surtout une théorie de la guerre comme moyen le plus efficace d’empêcher les troubles intérieurs par concentration de l’attention et des moyens contre l’ennemi extérieur. Les doctrines de la raison d’État se distinguent donc des anciennes versions des miroirs, leur part théologico-politique est composée avec un réalisme de la puissance, en vue de la conservation de l’État. C’est en ce sens que la théorie de la prudence, comme vertu politique par excellence, doit être comprise. Il ne s’agit plus de la prudence au sens d’Aristote, c’est-à-dire d’une norme de l’action politique, d’une sagesse pratique, mais d’une technologie politique en vue de l’efficacité politique la plus grande. Le second courant fait suite à l’œuvre d’Érasme à travers tout un nombre 14de traités sur l’éducation du prince, éducation qui doit lui permettre de bien gouverner.

Dans le livre de Xavier Gendre l’une des parties les plus intéressantes et les plus nouvelles est celle qui concerne les conceptions politiques de Juste Lipse, Pierre Charron, et surtout d’Adam Théveneau et de Nicolas Faret. Ce qui est bien souligné, concernant ces auteurs, c’est à la fois la raison pour lesquelles les miroirs des princes continuent à hanter la politique et les modifications que les théories médiévales subissent.

Ce livre fera sans nul doute date dans les recherches sur l’histoire de la pensée politique.

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2024

Siècle