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L’histoire de la police serait-elle inscrite dans les gênes de la famille Berlière ? Le sujet de la thèse soutenue à l’école des Chartes par Justine Berlière porte à le croire. Sous le beau titre de » Policer Paris au siècle des Lumières », elle y creuse le fertile sillon de la microhistoire. Approfondissant et élargissant ses recherches de mastère sur le commissaire Pierre Chénon, elle y affine l’étude des quatre titulaires ayant occupé les deux charges de commissaires au châtelet préposés au quartier du Louvre dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. échantillon sans doute pas tout à fait représentatif (en raison du profil hors norme de son homme clé Pierre Chénon) des quarante-huit commissaires-enquêteurs-examinateurs en poste dans la capitale, ce noyau de garants de l’ordre public permet néanmoins une séduisante immersion dans ce qui fut un rouage essentiel de la machine policière parisienne d’Ancien Régime. De l’exploration de leur pratiques quotidiennes et de leurs comportements personnels, se dégagent de riches perspectives tenant tout à la fois de l’histoire sociale, de l’histoire administrative, de l’histoire criminelle et de l’histoire des sociabilités urbaines. Limité au palais royal délaissé et à ses abords, le quartier du Louvre constitue une circonscription modérément peuplée et au périmètre restreint, mais ce petit village dans la grande ville n’en est pas moins très fréquenté par les passants en raison de ses activités. En effet, l’endroit est alors un des quartiers commerçants les plus animés et un des hauts lieux des plaisirs illicites de la capitale. Et, en ce point central de Paris, Pierre Chénon est indéniablement une personnalité centrale. Son relief résulte tout à la fois de sa longévité en poste (il officie de 1751 à 1791), de l’estime publique que lui ont acquis sa compétence et son comportement, des missions sensibles (police de la Librairie et de la Bastille) que les lieutenants généraux de police délèguent à cet homme de confiance, mais aussi de l’effet de source résultant de la richesse et de l’exhaustivité de ses archives. Autour de lui, gravitent successivement trois confrères de moindre envergure : Louis Cadot, Hubert Mutel puis, à partir de 1775, son propre fils Marie-Joseph Chénon. Nonobstant une commune formation de juristes, il n’existe pas de moule façonnant les commissaires : les quatre profils dessinés par Justine Berlière sont bien différenciés, tant sur le plan privé que sur le plan professionnel. Réseaux familiaux et stratégies d’alliance, états de fortune et modes de financement des offices, culture et centres d’intérêt personnels divergent sensiblement. L’ambition nobiliaire de Cadot, les gouts de collectionneur d’art de Mutel, la vocation policière dynastique des Chénon constituent un bouquet de différences qui trouvent un relatif principe d’unification dans l’exercice des fonctions qui leur sont imparties. Magistrats de terrain insérés dans le tissu quotidien de leur quartier, les commissaires sont en effet des acteurs polyvalents de l’ordre public. Le caractère pluriel de leurs missions embrasse police administrative et réglementaire, police de la voirie, police judiciaire et police des moeurs, voire police des familles. Pour assurer la permanence de ce service de proximité, ils doivent tenir hôtel de police, avec le concours indispensable mais mal connu de clercs de confiance en charge de l’accueil du public et des importants travaux d’écriture administrative associés aux tâches de leurs employeurs. Or, la gamme des prérogatives imparties aux commissaires est étonnamment large. Ces praticiens polyvalents ont ainsi à connaître de multiples problèmes d’hygiène et de circulation, plaintes pour injures, conflits de voisinage, violences conjugales, ramassage des noyés, méfaits des tire-laines, vols de hardes, fructueux scellés après décès, etc. A cette litanie de désordres, accidents, crimes et délits courants s’ajoute parfois un événement exceptionnel, tel l’incendie de l’Opéra qui fait onze victimes en juin 1781. Le panorama diversifié de cet univers de police parisien est enrichi par l’attention que porte Justine Berlière aux pratiques professionnelles de ses protagonistes. Des problématiques originales et variées émergent, qu’il s’agisse de l’analyse des revenus que les commissaires tirent de leur pratique (plus ou moins lucrative en fonction de la nature des actes), des rapports hiérarchiques dont ils dépendent, des sociabilités confraternelles et des collaborations professionnelles induites par leur métier, des inattendus réseaux de » clientèle » dessinés par la provenance des plaignants qui les sollicitent en s’émancipant très largement des logiques de proximité, ou encore du rôle et des caractéristiques des auxiliaires de police. Si, comparé à ses collègues, Pierre Chénon confirme son statut de » star » de la profession, tous les commissaires semblent adopter des stratégies de spécialisation conformes à leurs capacités et indexées sur leur notoriété. A travers l’évolution du périmètre de leurs activités, se lit sans doute le glissement progressif d’une police de quartier » traditionnelle », faite d’entregent et de lien social, à une police » moderne » fondée sur l’expertise professionnelle. On ne peut donc qu’apprécier le travail accompli par Justine Berlière pour restituer dans toute leur épaisseur ces arbitres de l’ordre, qu’elle définit élégamment comme des » acteurs essentiels mais méconnus du théâtre social et du vivre ensemble dans la capitale au Siècle des Lumières « .
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